Théodose le Petit - Răzvan Rădulescu

Il y a maintenant de cela trois ans, tu avais découvert, grâce aux irremplaçables éditions Zulma, Răzvan Rădulescu. Ce cinéaste roumain révélait, avec son roman La Vie et les agissements d’Ilie Cazane, ses talents de romancier. Tu t’étais promis de lire, dès qu’il sortirait en français, son livre suivant, dont tu connaissais l’existence (datant de 2006). Or, Théodose le Petit a paru récemment, une nouvelle et logique fois, chez Zulma. Sa couverture, conséquemment signée David Pearson, s’avère donc magnifique. Quant à la traduction, Philippe Loubière l’a brillamment réalisée comme il avait commis celle du précédent ouvrage de l’auteur.

Tu dois avouer qu’en t’emparant de l’imposant bouqun (un peu plus de 500 pages) et en en parcourant le résumé, tu ressentis une légère appréhension quant à son contenu. Car tout laissait croire qu’il s’agissait là d’un roman de Fantasy. Or, tu ne goûtes pas du tout ce sous-genre de l’Imaginaire qui se caractérise par des récits déployant généralement des archétypes misogynes, des intrigues et des univers d’une simplicité frisant la bêtise et d’un manque total d’originalité. Tu ne considères encore que les œuvres qui se démarquent par une écriture d’une qualité hors-norme ou qui ne répondent pas aux canons du genre, comme celles de Jacques Abeille (par exemple Le Veilleur du jour dont tu parlais dernièrement), ou quelques rares grands classiques. Théodose le Petit s’avère, heureusement, faire partie de ces récits atypiques qui, sans faire oublier qu’ils appartiennent à un courant honni, se jouent des clichés – et en jouent –, séduisent ainsi le lecteur exigeant ou difficile (que tu es).

Le deuxième roman de Răzvan Rădulescu démarre comme un véritable conte de fées, au point de se demander si le lectorat adulte était bien le public visé.
Théodose, prince héritier du royaume de Bucarest, sous la garde du Chatchien Gabriel, est guidé chez la chouette Calliope par le fantôme Ottilia, pour découvrir les plantations de fraises – ordinaires ou fantastiques – du volatile. Le lendemain, il visite les champignonnières du minotaure Samuel. Dans les premiers chapitres, l’auteur plonge donc le lecteur aux côtés d’un enfant pleurnichard et assez peu débrouillard (encore mal préparé par son précepteur à régner), dans une Roumanie féérique aux habitants humains, fourmis, poissons ou appartenant à d’autres espèces d’animaux doués de raison. Cette contrée fantastique possède, toutefois, des pans obscurs. Ainsi le trône est-il envié par le Duc Otto d’Ottobourg, despote mégalomane, et par le Protecteur Olivier, dit le « Silure », qui gouverne le Lac Froid et son peuple de poissons. Tous deux se sont alliés, pour s’emparer du pouvoir, quitte à passer des alliances perfides et à utiliser la force pour se débarrasser du Tuteur Plénipotentiaire du Prince Hérietier et de ses alliés.
Cela, on le découvre assez vite. La nature ambivalente du Silure Protecteur, auquel rendent visite Théodose et le TPTH dans une des premières scènes, est promptement révélée. Des lettres secrètes, portées à la connaissance du lecteur par le narrateur omniscient (et omnipotent), dévoilent l’existence d’une fraternité rebelle à l’autorité du royaume. Si bien que le conte initiatique un peu mièvre qui se dessinait dans les premières pages du livre se transforme rapidement en récit de complot politique trépidant. Tu te passionnas donc assez vite pour le roman, oubliant tes quelques réticences du démarrage. Théodose le Petit possède toutes les qualités qu’on attend d’un grand livre de Fantasy : un héros charismatique (non pas Théodose, mais Gabriel, en définitive), courageux et téméraire, des protagonistes d’envergure mythique (le Grand Monstrelet) et des méchants particulièrement ignobles. Mais surtout, et en premier lieu, un aspect épique dont peu d’entre eux disposent réellement. Ainsi, l’histoire monte en puissance sur toute sa longueur. Dans sa deuxième moitié, le suspense est prégnant et de plus en plus fort, jusqu’à une grande bataille finale pleine de souffle et de sang.

Cela dit, il ne s’agit pas du seul attrait de ce roman atypique, qui se démarque par la place importante que donne l’auteur à l’humour. Cette composante comique s’avère de nature plutôt acerbe. Le livre se présente donc finalement comme une satire. Rădulescu se moque des personnages politiques, des maladresses du mouvement rebelle clandestin, des ambitions autoritaires et mégalomaniaques des dictateurs, des militaires... Sans doute l'ouvrage comporte-t-il encore plus d’attaques humoristiques, à l’encontre de références à des particularités sociales ou historiques roumaines qui t’ont échappé. Théodose le Petit regorge ainsi d’éléments drôlatiques, auxquels comptent les transgressions aux codes du récit fantastique et de Fantasy (ou de fantaisie) dont l’auteur s’amuse. Il n’a pas hésité à violer les règles implicites du roman, à détourner les mécanismes de la narration pour créer cette œuvre anticonformiste, drôle et surprenante. Par exemple, il laisse parfois ses personnages prendre conscience de leur statut de protagonistes d’un conte de fées, critiquer ouvertement les péripéties auxquelles il les confronte et modifier à leur guise, et à leur avantage, le déroulement de l'aventure. Ils iront même jusqu’à s’extraire des pages du livre pour influencer le romancier… Ce caractère déjanté ne transforme pas le roman en un gloubi-boulga dont tu aurais peiné à finir la lecture. Notamment parce que Răzvan Rădulescu assume parfaitement. Il possède également le talent suffisant pour se sortir des pièges narratifs qu’il se tend à lui-même en ne suivant pas le scénario habituel du texte de fantaisie.

Théodose le Petit (Teodosie cel Mic), Răzvan Rădulescu (2006), Zulma, mars 2016, 512 pages, 23,50€

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