La première est sans doute la façon dont le livre se présente. Les deux auteurs de l’ouvrage, Legs McNeil et Jennifer Osborne ont consacré sept ans à sa constitution (dont quatre à chercher un éditeur, nous disent-ils dans l'introduction) tant le travail à réaliser était énorme. Le livre est basé sur le principe de récits d'événements réels racontés par ses acteurs. The Other Hollywood est ainsi sous-titré « L’histoire du porno américain par ceux qui l’ont fait » (« The Uncensored Oral History of the Porn Film Industry » dans la version originale). Sa construction est celle d’un documentaire, avec des interviews croisées qui se répondent et se complètent pour retracer, grâce à une progression parfois teintée de suspense, les développements de l’industrie pornographique Outre-Atlantique. Même si ces témoignages sont souvent empreints de subjectivité, la multiplication des avis, ainsi que des extraits de coupures de journaux ou de procès-verbaux fournissent une vision objective des faits. La lecture du livre se révèle donc attrayante, n’ennuie pas par un discours magistral des auteurs ni des digressions rébarbatives. On se surprend à satisfaire sans honte sa curiosité pour ce qui se révèle être un pan particulier de notre Culture, à l'importance indéniable dans notre société moderne. Bien plus qu’on ne le croit.
Voilà la seconde raison de l’intérêt que représente la lecture de The Other Hollywood. L'ouvrage démontre, au travers de la progression de l’offre pornographique aux États-Unis, celle de la place du sexe dans la société américaine, ainsi que l'évolution des mentalités en un demi-siècle. Tout commence dans les années 50, avec les films nudistes dans lesquels des hommes et femmes participent à des activités récréatives plus ou moins quotidiennes dans le plus simple appareil (mais sans que soient montrés les attributs génitaux). Puis viendront rapidement les nudie-cuties, films érotiques dans lesquels apparaissent, seulement aux alentours de 1968, des poils pubiens. En parallèle sont tournés les loops, des courts métrages pornographiques qui comprennent des scènes de pénétration. Les premières stars du genre émergent ainsi au début des années 70, lorsque sort le premier vrai long métrage du genre : Gorge Profonde (1973). Linda Lovelace et Harry Reems crèvent l’écran, mais d’autres les suivront dans la foulée : Marilyn Chambers grâce à Derrière la porte verte des frères Mitchell, autre film qui aura marqué son époque, John Holmes et ses 34,3 cm, Johnny Keyes, la première vedette masculine noire, et cætera. L'accueil par l’opinion publique, traduite par les chiffres de ventes astronomiques des places de cinéma, est parfaitement exposée, démontrant que la société pudibonde américaine dut ouvrir les yeux et très vite accepter l’apparition d’une production cinématographique correspondant à un marché et une demande existante. Malgré tout, il s'avéra dur de changer les mentalités, comme le montrent les réactions immédiates des représentants de la loi, et notamment du FBI. Les auteurs de The Other Hollywood ont donc interviewé un certain nombre d’agents du Bureau, afin d’obtenir des témoignages sur leurs enquêtes. Par le jeu des interventions croisées, pornographes et enquêteurs livrent les détails des plus importantes affaires de traques, d’arrestations, de poursuites judiciaires, d'infiltrations en rapport avec leur sujet d'étude. Certains chapitres de The Other Hollywood se transforment alors en véritables viviers pour écrivains de polars, avec ses personnages – réels – qu'on croirait sortis des films de Scorsese. Depuis les années 70, les autorités américaines n’ont ainsi eu de cesse de mettre des bâtons dans les roues des pornographes. Au début, en raison du caractère provocant et outrageux de leurs œuvres. Puis parce que pourchasser les créateurs et diffuseurs de produits pornographiques rima rapidement avec traquer les représentants des familles mafieuses. La pornographie générant d’énormes revenus, les « parrains » s’y intéressèrent très rapidement et en prirent les rênes, dirigeant alors cette nouvelle industrie en employant à l’occasion les méthodes musclées qu’on leur connaît.
The Other Hollywood raconte donc les faits marquants de l'histoire du porno. Mais il fourmille aussi d’anecdotes, qui même si elles relèvent du détail, sont révélatrices du fonctionnement du milieu et des mentalités de ses membres. Ainsi, il ne sera pas épargné au lecteur les explications au sujet du premier film zoophile, avec comme actrice principale une Linda Lovelace dont on ne sait pas tout à fait si elle était consentante ; on apprend tout de John Holmes, à côté duquel Rocco Siffredi apparaît alors comme une petite bite : ses performances sur les sets mais aussi ses relations houleuses avec une adolescente, les gangs et la mafia ; les auteurs s'attardent également sur l'affaire John Wayne Bobbit, celui qui se fit trancher le sexe par sa femme, et dont la célébrité résultante lui permit de devenir une vedette du porno... Et ce ne sont que quelques exemples d'histoires drôles ou sordides qu'intègrent McNeil et Osborne à leur essai.
En obtenant la parole, tous ces hommes et femmes laissent leurs personnalités s’exprimer et on découvre, presque étonné, que les acteurs, réalisateurs, producteurs, correspondent tout à fait aux clichés qu’on a d’eux. Souvent issues de bleds paumés du Middle West ou résultats d’une enfance qu’on ne saurait leur envier, la plupart des jeunes filles qui entrent dans le métier sont assez peu malignes et/ou déséquilibrées. Elles sortent la plupart du temps avec des gars qui les battent, les poussent à consommer des drogues, se comportent comme de véritables macs. Ils les vendent aux producteurs et réalisateurs pour qu’ils les fassent « jouer », avec bonus financiers pour les scènes anales ou exotiques qui placent parfois les actrices dans des situations à la limite de l'humiliation. Et ces derniers abusent évidemment dans bien des cas de leur pouvoir afin de se taper lesdites demoiselles. Bien entendu, tout ce joli monde se roule dans le foutre, l’alcool, la cocaïne, l’héroïne et autres substances psychotropes, ce qui aboutit bien souvent à des drames. L'histoire du genre est ainsi parsemée d'affaires qui se terminent par des peines de prison pour le mieux, de suicides ou de meurtres pour le pire. Et bien sûr, à partir des années 80, les premiers cas de SIDA se déclarent, obligeant le milieu à adapter ses pratiques...
On apprend beaucoup à la lecture de The Other Hollywood. Le livre permet de se rendre compte de l'importance de l'industrie pornographique dans le paysage culturel de notre société fascinée, même si elle n'ose pas toujours se l’avouer, par le sexe. De plus, il est abondamment illustré de photographies et de reproductions d’affiches qui permettent de mettre des visages sur les noms cités. Leur qualité laisse parfois à désirer et leur disposition dans les pages n'aboutit pas à chaque fois à un résultat harmonieux. Toutefois, elles acquièrent un caractère indispensable pour le lecteur qui n’était pas né ou n’avait pas l’âge de mater des pornos quand Bunny Yeager, Annette Haven ou Sharon Mitchell officiaient.
Le panorama s’arrête malheureusement en 2000, si bien qu'il ne nous est pas donné de découvrir l’évolution de l’industrie pornographique en ce début de troisième millénaire. L’explosion de l’Internet, sans doute aujourd’hui le médium majeur pour la diffusion des produits classés X, est tout juste évoqué en fin de livre, au travers de l’affaire de la sextape de Tommy Lee et Pamela Anderson. Cela est peut-être mieux, comme on me l'a fait remarquer : s'il est relativement chouette, ou tout du moins sans conséquence, de placer des références à l'histoire du porno entre les années 50 et 2000 lors d'un dîner mondain, se révéler pointu(e) quant à la production contemporaine du genre peut attirer des regards désobligeants...
The Other Hollywood est un ouvrage destiné aux curieux, qui s’intéressent à tout et n’ont pas honte de faire trôner dans leur bibliothèque un objet traitant d'un sujet qui en choquera plus d'un. Au pire, s'ils n'arrivent pas à surmonter leur pudeur, ils pourront toujours s’excuser par le caractère classieux de l’essai...
The Other Hollywood (The Other Hollywood : The Uncensored Oral History of the Porn Film Industry), Legs McNeil et Jennifer Osborne (2005), traduit de l'anglais par Claire Debru, Allia (La fin d'une époque - les conditions du vrai - Témoignages), avril 2011, 783 pages, 29€