Mexico Noir - Paco Ignacio Taibo II

Dans l'imaginaire populaire, le Mexique, ce sont les pyramides mayas, la pollution, le désert, les cactus, les sombreros, la drogue et le spring break à Cancún. Avec Mexico Noir, les éditions Asphalte offrent une vision toute différente de ce pays d'Amérique Centrale, et en particulier de sa capitale.

Après s'être concentrée sur l'Europe avec Paris, Londres et Rome, puis les États-Unis avec Brooklyn et Los Angeles, la jeune maison parisienne s'intéresse à une nouvelle partie du monde. Avant les prochains New Delhi Noir et Barcelone Noir, escale à Mexico, avec une anthologie de 12 nouvelles, rassemblées par Paco Ignacio Taibo II. La présence à la direction d'ouvrage d'un des plus grands auteurs de romans policiers n'est d'ailleurs pas sans rendre le livre encore plus alléchant. La couverture, à elle seule, donne déjà envie. À ce jour, probablement la plus belle de la collection, avec sa photo d'une structure métallique recouvrant une route (ou un pont), le tout retravaillé au vert pomme et au mauve, elle évoque un modernisme exotique attrayant. En tout cas, elle est représentative de l'excellente qualité graphique des publications d'Asphalte.
Et l'intérieur ? Les nouvelles, elles, sont de manière générale d'un bon niveau. On découvre par leur intermédiaire et avec satisfaction des auteurs inconnus et des histoires qui peuvent se classer dans plusieurs cases : du polar classique au récit débridé et loufoque.
Ainsi, Bernardo Fernández décrit dans Collection particulière le quotidien d'une jeune femme dirigeant les affaires de sa famille. Des affaires évidemment illégales, qu'elle prend autant de plaisir à faire fructifier qu'elle en a à compléter sa collection d’œuvres d'art. Cette nouvelle, qui met en scène un individu relativement atypique, ne déplaît pas, mais elle reste bien moins bonne que celle de F.G. Haghenbeck (Le Comique qui ne souriait pas). Ce dernier ne réinvente rien avec son détective privé engagé pour remettre l'argent d'un chantage à un corbeau qui n'est pas celui que l'on croit. Toutefois, avec une narration avenante, franche et directe, il réussit en quelques pages à faire aimer ses personnages et à passionner le lecteur pour une histoire appartenant aux classiques du genre.
Juan Hernández Luna et Eugenio Aguirre, eux, signent des textes plus étonnants, mais pas moins bons. Le premier, dans Bang !, place un homme face à un revolver qui sera l'instrument de sa mort. Revenant, de manière déstructurée, sur les événements qui ont précédé cette situation mortelle, la nouvelle surprend par sa construction, intéresse par le sens profond des réflexions qui tournent dans la tête de son protagoniste principal. Luna impressionne donc beaucoup. Aguirre, lui, se penche sur le Samedi Saint et aux marionnettes qu'on brûle à cette occasion. Rien qui ne semble avoir un rapport avec la description des meurtres qui ouvre Le Brasier des Judas. Mais nous sommes dans un recueil noir et le lecteur sera déconcerté par la conclusion de cette histoire, qu'on peut qualifier de foudroyante.
Toutefois, Luna et Aguirre se révèlent de petits joueurs à côté d'Eduardo Monteverde qui, avec Dieu est un fanatique, ma fille !, nous propulse dans un univers décérébré. Cannibales, transsexuels, curés inquiétants et enfants shootés à la colle s'y croisent et s'y entre-tuent aux abords de l'église San Fernando. Les âmes sensibles seront sûrement choquées ; les autres riront à maintes reprises des situations loufoques, décalées et provocantes qui s'enchaînent pour plonger le lecteur toujours plus profondément dans les bas-fonds de Mexico.

C'est d'ailleurs tout l'intérêt de la collection Noir d'Asphalte que de présenter les grandes métropoles sous le projecteur du noir. Lorsque j'avais parcouru Londres Noir, j'étais sorti de ma lecture avec une vision peu reluisante de la capitale britannique. Une impression, d'ailleurs, qui ne correspondait pas à celle que m'avait donnée la ville quand je l'avais arpentée à l'occasion d'un week-end. De la même façon, Mexico Noir montre le District fédéral, comme l'appelle ses habitants, sous un jour inquiétant. Avec ces meurtres dont les coupables semblent ne jamais devoir être inquiétés, ces quartiers entiers aux mains de malfrats qui se disputent le statut de pire criminel, on aurait facilement peur de traverser une bonne partie de la planète pour visiter cette cité. On reste surtout stupéfait face à la perversion de la police, dont Paco Ignacio Taibo II nous indique dans sa préface qu'elle est la plus corrompue du monde. La première partie de l'anthologie traite d'ailleurs de ce sujet. Outre Bernardo Fernández dont j'ai précédemment évoqué la nouvelle, Eduardo Antonio Parra et l'anthologiste lui-même illustrent l'ambivalence des représentants de la loi mexicaine. Le premier signe un texte saisissant, mettant en scène un clochard, dont on comprendra au fil des pages qu'il a assisté à un meurtre commis par des policiers. Le personnage principal de J'suis personne cherche alors à tout prix à éviter les ennuis que lui attirent le fait de s'être trouvé là au mauvais endroit au mauvais moment. Quant à Paco Ignacio Taibo II1, il livre avec L'Angle une nouvelle dévoilant l'affrontement entre un romancier engagé par le chef du gouvernement et un flic ripoux contrôlant Doctores. Ce quartier est le plus dangereux de la capitale et en faire un coin tranquille est un enjeu politique majeur. L'auteur nous dresse ainsi les portraits croisés du policier et de l'écrivain, avec son talent habituel, et en jouant avec les idées préconçues du lecteur concernant les moyens de combattre le crime. Myriam Landrini n'épargne pas non plus l'image des forces de l'ordre mexicaines avec Violeta n'est plus. Elle y met effectivement en scène un homme accusé du meurtre de sa logeuse et qui aura les plus grandes difficultés pour échapper à un policier persuadé de sa culpabilité. 

L'anthologie donne donc une image ténébreuse de Mexico. Mais on sait que la ville n'y correspond pas vraiment. Tous les centres urbains ont leur part sombre, Paris y compris. Cette dernière n'est pas pour autant un coupe-gorge, même si elle a été la capitale choisie pour la première publication dans la collection Noir. Mexico Noir reste un livre avant tout divertissant, composé de nouvelles de bonne qualité, dont j'ai évoqué la majorité. Celles dont je n'ai pas encore parlé ne sont pas moins intéressantes, même si elles restent moins en mémoire, comme Reno de Julia Rodriguez et Ardilla sans arbre de Rolo Diez, portraits de malfrats des quartiers Buenos Aires et Centro Histórico.
Derrière la porte de Óscar de Borbolla ou Des chats et des homicides de Victor Luis González sont des textes plus originaux. Dans le premier, les habitants d'un immeuble croient assister à la mort d'une de leurs voisines et essaient d'obtenir quelque certitude, sans succès, quant à son trépas. L'auteur nous décrit en fait le manque d'intérêt pour le voisinage dans les grandes villes, chacun retournant finalement à ses affaires et oubliant qu'il y a sans doute un cadavre dans l'appartement d'à côté et qu'un drame s'y est produit. La deuxième nouvelle, elle, est marquée par un suspense que son auteur, González, réussit à maintenir tout du long. Ceci malgré un récit qui semble devoir rester anecdotique jusqu'aux découvertes finales sur les personnages et la survenue d'ultimes événements inattendus.

Mexico Noir est donc un livre dont je conseille tout à fait la lecture. À lire en écoutant, si vous y arrivez, la playlist qui l'accompagne. La sélection réunit en effet une majorité de groupes dont les chansons sont loin d'être terribles. Visiblement, les auteurs, qui ont choisi les titres, en sont restés aux années 90 et aiment la musique mal défraîchies ou les orchestres pseudo-traditionnels d'Amérique Centrale. Ce qui n'empêche pas, globalement, les morceaux de fournir la touche mexicaine qui correspond au décor de ce nouvel opus de la collection Noir. Comme le disait une amie, si vous parcourez la playlist d'un Asphalte et que vous y trouvez deux ou trois pistes que vous appréciez, il y a de fortes chances que le livre vous plaise. Mais ce n'est pas parce que la sélection ne vous excite pas que l'ouvrage ne le fera pas. Mexico Noir en est le parfait exemple : c'est un bon bouquin.

 

1Je me permets un petit aparté sur les anthologistes qui placent leurs textes dans les ouvrages qu'ils dirigent. Je trouve personnellement la pratique inélégante. Prétention, manque de déontologie, incapacité à faire confiance aux autres artistes pour traiter le thème choisi, occasion d'être édité quand on n'y arrive pas par ailleurs, et cætera. les raisons sont nombreuses pour expliquer de telles opérations. Pour ce qui est des volumes de la collection Noir, les éditions Asphalte, qui pratiquent en particulier une importation et une traduction des anthologies, ne peuvent être blâmées. Quant à l'éditeur original Akashic Books, il essaie sans doute d'apporter un peu plus de cachet à ses livres en sélectionnant des écrivains réputés comme anthologistes (Cathi Unsworth pour Londres Noir, Denise Hamilton pour Los Angeles Noir...) tout en y introduisant un de leurs textes. Toutefois, la pratique reste, à mes yeux, plutôt pitoyable et jamais nécessaire.

 

Mexico Noir (Mexico City Noir), Paco Ignacio Taibo II (2010), Asphalte (Noir), octobre 2011, 169 pages, 18€

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