La Barbarie - Jacques Abeille

En avril de cette année paraissait Les Barbares, second roman de Jacques Abeille aux éditions Attila. J'avais, à l'occasion, parlé de ce volume d'une qualité remarquable. Six mois plus tard, c'est au tour de La Barbarie d'apparaître sur les rayons des librairies dignes de ce nom.

Le lecteur qui connaît la production de la maison varoise ne sera pas surpris par l'excellente tenue du livre, qui comme les autres ouvrages d'Abeille qu'elle a édités, arbore une splendide couverture à rabats illustrée par François Schuiten. Par contre, l'admirateur de l'écrivain bordelais pourrait être légèrement déçu de découvrir un court roman de seulement 120 pages. Il y a toutefois une raison à cette apparente baisse d'inspiration de la part de l'auteur des imposants Jardins statuaires et Barbares. En effet, La Barbarie était l'épilogue voulu par Abeille du précédent tome du Cycle des Contrées. Les éditeurs ont décidé de séparer cette fin originale du reste de l’œuvre. On comprend, à la lecture du présent roman, le choix des deux gars d'Attila et de l'écrivain. Comme Les Jardins statuaires, Les Barbares décrivaient des aventures enthousiasmantes et palpitantes, dont le lecteur retirait, malgré les péripéties de leurs protagonistes, un sentiment positif à l'égard de l'humanité. La Barbarie change le ton. 
On y retrouve le professeur d'Université qui avait été enlevé par le prince des steppes. À l'issue de son voyage dans les jardins statuaires, le voilà de retour à Terrèbre. Il va découvrir, après nombre d'années d'absence, une ville transformée, dont les vieilles institutions renversées par l'invasion barbare ont été remplacées par une bureaucratie rébarbative et obscurantiste. Une véritable barbarie. Le livre offre donc une vision différente de l'univers des Contrées, illustrant explicitement la déchéance que peut connaître une société qui choisit mal ses dirigeants, ou n'a pas la chance de pouvoir décider de leur nature. On pourrait sortir de la lecture de La Barbarie en éprouvant une certaine amertume sans la note d'espoir par laquelle elle s'achève et qui rappelle que le destin des hommes reste toujours entre leurs mains.

En fait, pendant toute la première partie de La Barbarie, le lecteur croira lire un texte parfaitement comparable aux autres ouvrages d'Abeille. Son personnage principal redécouvre une contrée dont il a longtemps été absent et qui a bien changé. Il y rencontrera des personnes auxquelles il s'attachera, et notamment une femme. Une occasion pour l'auteur comme il n'en rate jamais de faire explorer au lecteur les sentiments des protagonistes, tandis qu'eux s'explorent mutuellement. La Barbarie comporte donc des passages d'un érotisme qui n'avait pas été atteint dans Les Jardins statuaires et Les Barbares. Le texte est ainsi hanté par le fantôme de Léo Barthe, à la fois figure des Contrées et pseudonyme de Jacques Abeille, avec lequel il a signé des recueils de nouvelles érotiques, dont les Chroniques scandaleuses de Terrèbre. Pour le moment, ces dernières sont seulement disponibles aux éditions Gingko, ainsi que le reste du cycle phare de l'auteur. Toutefois, la maison indépendante précédemment évoquée ne démontre pas le professionnalisme des deux gars d'Attila et ne met pas en avant l’œuvre de l'auteur bordelais. On ne peut donc qu'espérer que Jacques Abeille, Benoît Virot et Frédéric Martin réussiront à en récupérer les droits pour les proposer à leur tour sous le même format que Les Jardins statuaires et ses suites.

Ai-je besoin d'en dire plus sur ce court mais passionnant roman qui prolonge Les Barbares ? Pas vraiment : ceux qui ont lu ce dernier seront convaincus de l'intérêt de La Barbarie. Certes, il est moins impressionnant que les autres ouvrages d'Abeille mais il complète les thèmes chers à l'auteur. L'écrit s'y place une nouvelle fois au centre d'un récit sensuel et érudit. Il fait basculer une Histoire qui ne semble pas écrite par les vainqueurs, mais qui les désigne parmi ceux soucieux de propager le savoir et la mémoire des sociétés humaines, mouvantes et éphémères par définition. Les amoureux de la prose majestueuse et de l'Œuvre d'Abeille ne doivent pas le rater.

La Barbarie, Jacques Abeille (2011), Attila, octobre 2011, 125 pages, 15€

Haut de page