Texasville - Larry McMurtry

De Larry McMurtry, tu aurais sans doute dû parler de Lonesome Dove, western paru en 1985, encensé par la critique (il s’est vu décerner le prix Pullitzer) comme par tes amis au fur et à mesure que ces derniers le lisent. Tu aurais également pu t’attaquer à La Dernière séance, un des premiers romans de l’auteur (1966), dont l'adaptation au cinéma a connu un succès retentissant. Mais il se trouve que tu as acquis Texasville, publié en 1987 aux États-Unis, en 1989 en France et republié pas plus tard qu’en 2012 par les éditions Gallmeister dans la superbe collection Totems. Et puisque ce roman est beau et bon, tu vas tapoter quelques milliers de signes à son sujet…

Le récit se déroule à Thalia, petite ville du Texas qui survit tant bien que mal à la crise du pétrole du milieu des années 80 provoquée par l’augmentation de la production d’or noir par les pays de l’OPEP (l'ouvrage date de 1987, ne l’oublie pas). Les producteurs texans frôlent la faillite. Tout particulièrement l’un d’entre eux, Duane Moore. Magnat qui a fait fortune pendant les temps d’abondance, il est largement endetté (à hauteur de 12 millions de dollars) suite à un investissement maladroit réalisé juste avant la période d’austérité. Cet homme de 48 ans est le personnage principal du livre. Avec sa femme Karla, magnifique femme au caractère trempé, que la richesse de son mari a rendue dépensière, ils sont les parents de quatre gamins incontrôlables. L’aîné, Dicky, 21 ans, dont le charme fait chavirer la gent féminine de tous âges, vend de la drogue ; Nellie, la cadette, s’est déjà mariée trois fois et a donné naissance à deux enfants alors qu’elle n’a que 19 ans ; Julie et Jack, les deux petits derniers, accessoirement jumeaux, redoublent d’espièglerie et manifestent une imagination débordante lorsqu’il s’agit d’inventer de nouvelles bêtises. Si tu complètes cette liste avec le chien de Duane, Shorty, animal incroyablement fidèle, mais incommensurablement stupide et aux coups de dents faciles, tu obtiens un tableau familial extravagant. À ces personnages de la famille Moore s’ajoutent les nombreux autres habitants de Thalia, que tu découvris petit à petit dans le roman. Ces derniers possèdent des mœurs étonnantes, des personnalités surprenantes et parfois effarantes. Ils constituent, ainsi, une populace de doux dingues. Mais cela n’empêche toutefois pas la routine de s’installer dans cette ville perdue du Texas. Toutefois, Texasville se déroule à l’approche du Centenaire de la fondation de Thalia. Duane tient le poste de président du comité chargé d’organiser la célébration. Il verra l'agglomération entrer peu à peu en ébullition, la folie de ses habitants s’exprimer de plus en plus alors que les festivités se rapprocheront, comme libérée par cette occasion exceptionnelle. Le cadre douillet et tranquille des foyers va se fissurer et les couples, les familles, les relations professionnelles (celles de Duane en premiers) se détraqueront quelque peu…

Le livre de McMurtry se révèle particulièrement drôle. Les Moore, tous de sacrés personnages, provoquent à tout de rôle, voire tous en même temps, des situations incroyables ; les habitants de Thalia forment également une galerie loufoque dont chaque composante, même quand elle possède une certaine méchanceté dans son fond, s'avère risible. Tu croises ainsi un pasteur véhément, un producteur de pétrole paranoïaque, un entrepreneur halluciné, un ouvrier déprimé, des femmes mûres qui se libèrent sexuellement, un banquier inquiété par la Justice et bien d’autres hurluberlus d’un acabit dont on rencontre rarement autant de spécimens dans un unique roman. Tu as suivi en rigolant les frasques, les fracas et les errements de ces Texans qui semblent tous perdus, financièrement, psychologiquement ou émotionnellement. Difficile de ne pas s’attacher à la plupart d’entre eux. Mais Duane s’attire la plus grande partie de la sympathie du lecteur. La vie de ce quasi cinquantenaire est chamboulée par le Centenaire et la folie qu’il propage : sa famille se désagrège, sa maîtresse se lasse de lui, son amour d’enfance refait surface et la faillite le menace plus que jamais. Tu t'ais vu espérer, tout au long du roman, qu’il se sortirait de ses ennuis, tant financiers que familiaux, qui ne font que se renforcer, se multiplier au fil des pages. Et si l'existence de Duane ne va qu’en se compliquant, l’homme ne lâche rien, droit dans ses bottes, alors que les femmes qui l'entourent lui en font voir de toutes les couleurs, que ses enfants l’écoutent encore moins que jamais, que son fidèle compagnon canin lui tourne le dos et que ses puits de pétrole deviennent de moins en moins rentables.
Au travers de ces personnages hauts en couleurs, bardés de défauts, mais également pleins de qualités, Larry McMurtry dépeint un portrait attachant du Texas. Même si l’image du Texan cowboy un peu rustre, de redneck bas du front, un fusil dans les mains en toutes circonstances, n’est pas totalement absente des pages du roman, tu retiens aussi celle d’une contrée qui peut s’avérer agréable. Thalia, bled pommé au milieu des derricks, apparaît moins austère que tu pouvais t’y attendre et y vivre moins ennuyeux que cela se pressentait. Si on ne prend pas au pied de la lettre les excentricités de ses protagonistes, Texasville dévoile un Texas, voire, en étendant un peu au-delà des frontières de cet état, une Amérique palpitante, attendrissante, drôle et fondamentalement amicale.
Le personnage de Duane, en plus de servir de charpente à son amusant et, par moment, émouvant récit, permet à Larry McMurtry de s’intéresser aux rapports entre hommes et femmes. Son héros doit mener de front l’organisation du Centenaire, ses problèmes financiers et les changements de comportement des individus féminins autour de lui. Il aime toujours son épouse, femme de tête débordante d’énergie, mais il la comprend de moins en moins et leurs relations de couple s’avèrent parfois difficiles ; Jacy, sa petite amie de lycée, émigrée en Italie où elle est devenue une star du cinéma, revient à Thalia pour quelques temps, semant la zizanie au sein de la famille Moore, ou du moins perturbant quelque peu sa relative routine ; Janine, la maîtresse de Duane, l'abandonne, mais sera remplacée par Suzy, qui tombe soudainement dans ses bras après avoir succombé au charme de son fils. Tout cela, on le comprend, est bien compliqué... Duane tentera de saisir ce qui se passe dans la tête de toutes ces femmes, sans vraiment y arriver. Car si Larry McMurtry aborde ce sujet au détour des aventures rocambolesques des habitants de Thalia, il ne montre aucunement l’ambition de fournir des théories psychologiques, sociologiques ou philosophiques pompeuses et hasardeuses à ses lecteurs. Tu te félicites même de ne pas avoir trouvé – ou plutôt, tu félicites Larry McMurtry de ne pas avoir cherché – dans ce roman un semblant de réponse à l’interrogation qui travaille l’humanité depuis des lustres, une formule débile à l’entente entre hommes et femmes. Les relations entre Duane, Karla, Jacy et les autres n’en paraissent que plus véridiques. L’auteur se contente de raconter, avec un talent manifeste, une histoire folle, mais vraisemblable. Il se limite à la description de personnages incroyables, mais authentiques, sans jamais se départir d’une efficacité littéraire qui donne à son récit les qualités requises pour que le lecteur le dévore et prenne plaisir à cette rencontre avec un Texas – des États-Unis – qu’il pourrait sans mal aimer.

Texasville (Texasville), Larry McMurtry (1987), traduit de l'anglais par Josette Chicheportiche, Gallmeister, Totems, décembre 2011, 556 pages, 11€

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