Corps variables - Marcel Theroux

De Marcel Theroux, plusieurs de tes amis vantent Au nord du monde (Plon, 2010). Toutefois, tu ne te laisses pas convaincre facilement de lire un roman d'un écrivain inconnu quand le bouquin en question ressemble fortement, sous sa version poche, à un pavé (en réalité, il compte moins de 400 pages). La sortie de Corps variables, dont les mensurations s'avèrent moins imposantes, était l'occasion de faire connaissance avec l'auteur britannique. D'autant plus qu'il a lui aussi eu droit à des éloges. 

En principe, ce blog respecte une ligne éditoriale particulière, à savoir, la chronique de livres d'une qualité littéraire certaine proposés sous une forme qui leur fait honneur. Toutefois, il t'arrive de t'autoriser des exceptions. Ainsi en est-il de Corps variables. En effet, sa fabrication laisse particulièrement à désirer. Tu ne peux pas qualifier ce bouquin de beau. Mais ayant décidé de fermer les yeux sur le fait qu'une maison d'édition comme Plon admet la vente à près de 21€ d'un ouvrage dont la couverture ne résiste pas à une lecture dans des conditions normales, tu t'apprêtes à dire tout le bien que tu penses de l’œuvre de Theroux.

Corps variables met en scène Nicholas Slopen, un universitaire anglais spécialiste de l'écrivain Samuel Johnson. Slopen, engagé par un collectionneur, doit authentifier des lettres censément écrites par l'auteur du XVIIIe siècle. Il se rendra compte qu'il y a supercherie, et son obstination à empêcher la circulation de faux de Johnson l'entraînera au cœur d'une conspiration visant à repousser les limites de la mort, au mépris de toute éthique.
Si par malheur, le lecteur potentiel du livre lit sa quatrième de couverture, il découvrira peut-être un peu trop rapidement en quoi consiste ce complot. Toutefois, il semble que Marcel Theroux ne comptait pas le tromper bien longtemps : le titre original du roman, Strange Bodies, s'avère révélateur ; on s'aperçoit également assez vite, après la fausse préface par laquelle commence le récit et qui dévoile son caractère mystérieux et son appartenance au genre du fantastique (ou de la science-fiction), que Nicholas Slopen, prétendument – en réalité, indubitablement – mort, se révèle toujours vivant.
Tu préfères ne pas en divulguer plus. Même si on devine sans tarder les principaux mécanismes de la Procédure Malevine, qui permet une résurrection à certaines conditions, le texte est imprégné de la dose parfaite de suspense pour happer le lecteur de la première jusqu'à la dernière page. Tu ne voudrais gâcher le plaisir de personne.

Theroux ne fait, en fin de compte, pas grand secret de ce procédé de prolongation de la vie parce qu'il ne s'agit là que d'une partie de l'intérêt de son roman. Cette Procédure Malevine repose sur une hypothèse, inédite te semble-t-il, concernant le foyer de la conscience. D'une telle idée, le tout-venant des auteurs de SF, qui serait sans doute en peine d'en trouver une de ce niveau, aurait probablement tiré une histoire quelconque. Theroux, lui qui s'avère clairement appartenir à la catégorie des écrivains talentueux, ne s'en contente pas.
Il exploite ce concept intrigant au travers de ce qui s'avère surtout l'aventure d'un homme à qui la vie n'a pas fait que sourire. Sous la plume du romancier britannique, Nicholas Slopen s'anime en personnage convaincant. Il s'attache sans aucun doute la sympathie du lecteur. Celui-ci espère le voir réussir son entreprise de mise en échec du complot, même s'il sait, dès les premières pages, qu'il ne s'en sortira pas bien. Mais, parallèlement, ses nombreux défauts d'être humain empêchent l'éclosion de sentiments manichéens à son encontre. Theroux place ce protagoniste au contact d'autres individus qui interpellent autant par leurs typicités respectives que par la crédibilité avec laquelle l'auteur les met en scène. Ainsi, c'est avec minutie que Theroux orchestre son récit , divulgue les mystères de ses personnages, distribue les pièces qui permettent de réassembler le puzzle avec lequel il joue. Grâce à tout cela, Corps variables apparaît comme un solide thriller fantastique disposant d'une véritable âme.
Toutefois, l'intelligence du roman va au-delà de sa construction. Le niveau d'érudition que démontre Theroux donne à son texte une toute autre dimension, supérieure et raffinée. La qualité des références, le souci apparent du détail, l'exigence que l'auteur semble s'imposer séduiront les amateurs de littérature riche et intellectuellement captivante. D'ailleurs, le livre, en abordant les thèmes de l'identité et de la quête de l'mmortalité, qu'il soumet à des questionnements éthiques, interroge le lecteur sur des thématiques philosophiques d'un intérêt évident.

Corps variables, Marcel Theroux (Strange Bodies, 2013), traduit de l'anglais par Stéphane Roques, Plon, Feux Croisés, février 2015, 320 pages, 20,90€

Haut de page