Grotesk II - Olivier Texier

Tu as découvert Olivier Texier par l’intermédiaire de sa bande dessinée Croisière Cosmos (Delcourt, 2008). Cette BD t’avait laissé un peu dubitatif. Tu l’avais trouvée assez peu drôle et plutôt convenue. Tu étais alors passé à autre chose, ne considérant pas cet auteur comme un artiste à suivre. Plus tard, tu es tombé sur son blog, Mal faits, et tu as compris que quelque chose t'avais échappé. Avec le recul dont tu disposes maintenant, tu peux affirmer que Croisière Cosmos n’est pas tout à fait en phase avec sa production habituelle, un ouvrage édité par une grande maison et donc trop grand public. Il suffit de jeter un œil sur les strips qu’il publie sur l'Internet pour s’en rendre compte : ils s’avèrent crades, parfois abjects, politiquement incorrects, mais absolument drôles.

Ce que diffuse Texier sur cet espace numérique explore différents univers assez proches par leur côté délirant, violent et sexuel. Le lecteur peut ainsi découvrir les péripéties de « Marv & Jonny », qui mettent en scène une brute épaisse (Marv) et un poulet (Jonny), tous deux compagnons d’aventures et en même temps conjoints. Les éditions des Requins Marteaux ont publié en 2013 un recueil de leurs chroniques suantes et sanglantes. Outre ces dernières, Olivier Texier propose sur son blog les histoires de « Jean-Jo, l’insecte le plus con de la création », des dessins absurdes, salaces et dégueulasses illustrant des jeux de mots douteux et les « Grotesk ». Chaque épisode de cette série est indépendant en termes de personnages, de lieux et d’époques, mais tous se caractérisent par un ton décalé, grotesque comme leur nom l’indique.

Après une première compilation de « Grotesk » en 2013 dans un volume paru aux éditions Même Pas Mal (Grotesk, retour à l’anormal), une deuxième salve de strips a été rassemblée par la petite maison en 2015. On y retrouve un certain nombre d’histoires déjà diffusées sur Mal faits. Peu, voire aucun, s’avèrent d’ailleurs inédits. Cela est certes un défaut.
Personnellement, tu n’aimes pas trop l'idée des recueils de blogs. Tu aurais tendance à dire que les éditeurs et artistes qui ont recours à ce genre de publications prennent les lecteurs pour des vaches à lait et pour des imbéciles (cela dit, ils achètent...). Cela s’avère notamment vrai quand le blogueur est très connu, étant donné que presque tout le monde a lu ses posts… Toutefois, les éditeurs sont, comme on le sait, des vautours ne payant pas décemment leurs collaborateurs pour de « vrais » projets BD. On peut donc imaginer qu’une sortie « facile » de ce type permet aux créateurs de mettre du beurre dans les épinards (voire, simplement, de se fournir en épinards). Le cas de Texier ne s'avère pas différent, bien que toute édition papier puisse le faire mieux connaître car son blog, ses nombreuses publications autoéditées ou chez des maisons indépendantes ou underground n’y suffisent sans doute pas. Par ailleurs, tu mets volontiers la main à la poche pour donner une chance à ce genre d’auteurs de continuer à produire de la bande dessinée de si bonne qualité, mais qui n’intéresse, ni ne s’adresse, au grand public.
Quoi qu’il en soit, tu as pris énormément de plaisir à découvrir ou redécouvrir les historiettes grotesques d’Olivier Texier. Aussi bien celles présentant des couples humano-cucurbitacés, que celles avec des nazis, des zombies, des extraterrestres ou que sais-tu encore, tous plus bêtes, vils, violents et obsédés sexuels les uns que les autres. Tu as particulièrement ri au strip évoquant un futur dans lequel les crottes ont muté et sont devenues intelligentes, se plaçant en concurrence avec les humains, jusqu’à ce que ceux-ci se transforment à leur tour et que la paix revienne. Tu as ricané en lisant l’histoire d’un homme qui en a marre des bus bondés, décide de s’acheter son propre autocar et, quelques années plus tard, réalise son rêve en parcourant le monde sans ne jamais s’arrêter à aucun arrêt. Tu as aimé l’idée de la plage nudiste pour amputés, permettant aux personnes dépourvues d’un ou plusieurs membres de montrer leurs corps mutilés en toute liberté, bien qu’ils doivent se méfier, s'ils se baignent, des eaux truffées de requin. Tu as adoré le personnage de Güntar, le nazi manchot caissier de supermarché, qui après la victoire allemande lors de la 3e Guerre Mondiale en 1962, souffre chaque jour du harcèlement par Charles de Gaulle, « le pire ivrogne du quartier » qui n’a de cesse de l’insulter. Enfin, la description de la planète Zongo en 25479 t’a réjoui puisqu’on y découvre Jane, qui livre leurs e-mails aux habitants, les parties intimes cachées par du scotch (comme c’est la mode depuis 25460), le portage à domicile étant revenu au goût du jour car les gens se sont rendus compte qu’il s'avère plaisant de disposer de quelqu’un sur qui gueuler en cas de réception de spams.

Grotesk II, Olivier Texier (2015), Même Pas Mal, mars 2015, 80 pages, 13,50€

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