Zaï Zaï Zaï Zaï - Fabcaro

Avant que Raoul Abdaloff n’en parle au cours d’une émission de la Salle 101, tu ne savais rien de Zaï Zaï Zaï Zaï, ni de son auteur, Fabcaro. Te trouvant sur place au moment de l’enregistrement de la session radiophonique, qui se déroulait comme d'habitude dans les conditions du direct au Bar À Mines, dans le 12e arrondissement de Paris, et l’animateur ayant amené son exemplaire de la bande dessinée, tu pus en lire les premières pages. La scène d’introduction se montre éloquente : on y voit le héros passer à la caisse du supermarché, mais ayant oublié sa carte du magasin dans son autre pantalon, il est pris à parti par la sécurité avant de réussir à fuir. Convaincu par ce démarrage hilarant de la BD et par la chronique dithyrambique de Raoul Abdaloff à son sujet, tu n’hésitas pas à acquérir l’ouvrage.

Parcourant la bande dessinée, il te fallut peu de temps pour renforcer ta certitude quant à la grande qualité de l’œuvre de Fabcaro. Page après page, les rires succédant aux rires, la conviction se forma que Zaï Zaï Zaï Zaï faisait sans nul doute partie de ce qui a été produit de mieux ces dernières années en matière de Neuvième Art français.
Évidemment, la principale force de cette BD est qu’elle fait rire. Pas seulement sourire, comme nombre d’ouvrages soi-disant humoristiques, mais vraiment, véritablement rire. Tout seul. Bêtement. Car, au premier abord, on pourrait considérer Zaï Zaï Zaï Zaï d’une bêtise sans nom. Elle raconte en effet la traque d’un auteur de bandes dessinées (Fabcaro se met clairement en scène dans ce « road movie »), poursuivi par les autorités pour l’acte de quasi-terrorisme présenté précédemment. Les gens s’indignent. La société est secouée et se divise face à ce que certains qualifient de nouvel affront à l'ordre moral, commis par un de ses rebuts, presque la lie de l’humanité. Les séquences d’une ou deux pages s’enchaînent, dévoilant l’ampleur que prend « l’affaire de la carte de fidélité » et l’importance du décalage entre le monde improbable décrit par Fabcaro et le nôtre, pourtant censément identiques. Zaï Zaï Zaï Zaï, en fait, plonge avec enthousiasme et à peu près constamment, dans le Totally What The Fuck. Assurément, les lecteurs insensibles à ce type d’humour devront passer leur chemin.
Fabcaro tire la quintessence de son idée par une construction du récit qui ne respecte pas les schémas du genre. Le livre alterne séquences où le héros apparaît, tentant d’échapper à la police au cours d’une fuite au fin fond de la Lozère, et passages qui se focalisent sur des inconnus, offrant un point de vue externe sur la situation. Ceci maintient un certain suspense et permet à l’auteur d’introduire ce décalage étonnant entre fiction et réalité. De plus, à maintes reprises, Fabcaro met en abîme son travail sur cette bande dessinée, ses choix scénaristiques, pour rajouter des touches amusantes à son œuvre d’autant plus drôle. La palette de couleurs, limitée à un jaune sale, au noir et au blanc, renforce l’ambiance faussement étouffante de chasse à l'homme. « Faussement », évidemment, puisque dans le contexte de cet ouvrage d’humour, le fugitif correspond davantage à l’image du bouffon qu'à celle du criminel (qu’il n’est d’ailleurs pas), à l’instar des autres personnages, politiques, policiers, journalistes, quidam, tous tournés en ridicule.

Toutefois, sous ces apparences d’absurdité, la BD ne s’avère pas si légère que cela. Certes, le dessinateur se moque surtout de certains aspects plus irritants qu’affligeants de notre société : la fidélisation des clients à outrance par les chaînes de supermarché, la vacuité des débats à la télévision et des experts qui y prennent part, l’insignifiance des reportages des journaux télévisés, et cætera.
Mais, de manière plus générale, Zaï Zaï Zaï Zaï s’attaque à des sujets plus sensibles et politiques. Fabcaro y assimile les auteurs de bandes dessinées à une communauté considérée par l’opinion publique comme généralement malhonnête. Ainsi, il règle ses comptes avec les éditeurs qui ne paient pas assez les artistes qu'ils emploient. Mais il dénonce surtout certains autres problèmes plus graves et globaux : la stigmatisation de certaines catégories de populations, les dérives sécuritaires, les réflexions bas du front, parfois conspirationnistes, d’un peuple qui se replie sur lui-même. Absolument pas anecdotique, tant par sa forme que par son fond, la dernière œuvre de Fabien Caro se révèle donc un incontournable.
Pour s’en donner une idée, et parce qu’on bon dessin vaut mieux qu’un long discours, voici un extrait du livre, représentatif de son ton et de son humour.

Zaï Zaï Zaï Zaï, Fabcaro (2015), Six Pieds Sous Terre, mai 2015, 70 pages, 13€

 

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