Les précédents ouvrages de Pollock offraient des galeries de portraits de rednecks. Ce nouveau livre respecte la même logique. On y suit en effet, tout du long, plusieurs personnages principaux. Ces derniers vont croiser des protagonistes secondaires qui n'existeront parfois que pour quelques pages, mais participent, par leur présence, à fournir une vision globale de l'Ohio du début du XXème siècle, et plus précisément de 1914.
Le lecteur fait ainsi connaissance des frères Jewett, trois garçons un peu demeurés qui, à la mort soudaine de leur père pendant des travaux agricoles, prennent leur destin en main, inspirés par un héros de roman d'aventures à deux sous. Ils commencent à braquer des banques et des magasins généraux. Rapidement pourchassés par les autorités qui mettent leurs têtes à prix, ils décident, après avoir accumulé un joli pécule, de se réfugier au Canada, en passant par l'Ohio. Par ailleurs, on découvre les Fiddler, Ellsworth et Eula, des péquenauds de cet état du Nord. Ils essaient de s'en sortir avec leurs quelques arpents de terre. Mais les choses vont mal. Premièrement parce qu'Ellsworth vieillit. Ensuite car qu'il s'est fait arnaquer et a perdu toutes leurs économies (1000 dollars). Troisièmement, en raison de la disparition soudaine de leur fils, un bon à rien doublé d'un alcoolique, laissant le fermier seul pour assurer la récolte de maïs. Les chapitres d'Une mort qui en vaut la peine alternent les passages narrant les exploits criminels des Jewett et la traque dont ils sont l'objet, et ceux décrivant les tourments d'Ellsworth Fiddler. Ce dernier, notamment, recherche son rejeton qu'il croit engagé dans l'armée. Cette hypothèse l'amènera à se rendre à Meade, bourgade en expansion depuis l'installation d'un camp militaire à proximité. Les existences des Fiddler et des Jewet finiront par coïncider, évidemment...
Daniel Ray Pollock dévoile ainsi le quotidien des habitants d'une petite ville d'un coin perdu de l'Amérique comme celui des paysans. L'auteur ne cherchant jamais à montrer les beautés de l'âme humaine – si seulement il pense qu'il y en a –, le lecteur découvre que le terme civilisation ne s'applique que très parcimonieusement à l'Ohio – voire à l'Amérique tout entière – du début du XXème siècle. Malgré les progrès technologiques de ces « temps modernes », habitants des centres urbains comme ceux de la campagne ne se rachètent ni les uns, ni les autres. Tous, quel que soit leur rang social ou leur niveau d'éducation, apparaissent d'une bêtise crasse. Le fils de bonne famille, à cause d'une certaine arrogance, comme le péquenaud qui n'est jamais allé à l'école agissent en dépit du bon sens, d'une prudence ou d'une intelligence quelconque. Si bien que malgré le souhait que tous expriment d'une manière ou d'une autre dans cette époque et ce pays violents, à savoir celle d'une mort qui en vaut la peine, tous finiront d'une manière stupide et futile.
Tous ? Pas vraiment. Les récits de Donald Ray Pollock appartiennent à un genre plutôt noir. Ils se terminent mal en général. Son dernier roman n'échappe pas à ce constat. Toutefois, il t'a semblé moins sombre que Le Diable, tout le temps et les textes de Knockemstiff. Même s'il décrit parfaitement le manque de perspectives d'avenir dont disposent les membres des classes populaires, même si la plupart des personnages meurent brutalement, le livre sème quelques lueurs d'espoir pour l'espèce humaine, ce qui le rendra sans doute plus accessible aux nouveaux lecteurs de Pollock.