Le Jour d'avant s'est avéré à la fois plus et moins que le célèbre roman du non moins renommé Émile Zola.
Plus parce qu'il ne se contente pas de traiter de la mine et des mineurs. Il s'y intéresse même assez indirectement. Le narrateur – et personnage principal –, Michel Flavent, est le deuxième fils d'un couple d'agriculteurs d'un petit village près de Liévin et de Lens, où se situent diverses mines de charbon. Son frère aîné, Joseph, finit par entrer à la mine. Il sera concerné, le 27 décembre 1974, par un accident qui fera 42 victimes parmi les employés des Charbonnages de France. Le père de Michel se suicide peu après en demandant à son seul enfant restant de les venger de la mine. Quarante ans plus tard, après le décès de son épouse, il se décide enfin à accomplir ce que son paternel lui a enjoint.
Le Jour d'avant évoque certes la vie des mineurs, décrivant, au travers de l'exemple de Joseph Flavent, les difficultés du travail sous la terre, ses risques, aggravés par les exigences de rendement au détriment du respect des règles de sécurité. Mais le roman est avant tout celui d'un amour fraternel, de la mort d'un jeune homme qui laisse derrière lui une famille. Mais surtout qui abandonne involontairement un frère (16 ans à l'époque) qui ne s'en remettra jamais, qui transportera son deuil pendant des décennies et tentera, à terme, de s'en délivrer d'une manière critiquable et entraînera des poursuites pénales. Tu ne raconteras rien de cela, car lorsqu'on aborde cette section du texte, on entre dans la partie la plus obscure, la moins attendue, dont tu dois garder les secrets pour préserver la surprise aux lecteurs. Sorj Chalandon n'excelle jamais plus que quand il narre les amitiés, les émotions. Même à la lecture de Mon traître, dont le sujet t'avait paru trop personnel (l'amitié trahie entre Chalandon et un agent anglais infiltré dans l'IRA), t'avait touché par la qualité et la justesse avec laquelle l'auteur évoquait ses sentiments. De façon similaire, dans Le Jour d'avant, tu as été ému par cette histoire d'une admiration naïve, entière, d'un gamin pour son frère, de la blessure profonde provoquée par sa mort.
Mais ce roman s'avère aussi un sous-Germinal. D'abord car il ne met pas en scène à proprement parler des mineurs. Il ne se révèle pas non plus le récit d'une insurrection ouvrière contre des patrons qui pourtant, à l'instar ceux de la fin du XIXème, ne se soucient pas de la santé et du bonheur de leurs employés. Il ne faut pas chercher dans l'ouvrage de Sorj Chalandon le réconfort une histoire de révolte, sinon celle de Michel Flavent, bien personnelle, bien tardive. On peut donc être déçu à la lecture du Jour d'avant. Tu te dois de prévenir ceux qui voudraient une relecture du roman de Zola. Les dernières scènes du livre de Chalandon, qui évoquent explicitement ce dernier, dispersent d'ailleurs l'idée quant à la volonté du romancier d'incriminer quiconque. Le méchant présumé est plus ou moins excusé, la faute de l'incident du 27 décembre 1974 délayée par une attribution à un large collectif.
Toutefois, le sujet est traité. Reprocher à Sorj Chalandon de ne pas avoir, dans son roman, condamnés les Charbonnages, les ingénieurs, les porions, ce serait blâmer un auteur de littérature de faits, réaliste, pour ne pas avoir réécrit l'Histoire, de ne pas avoir inventé une fiction totale. Les vrais coupables de toutes les catastrophes survenues dans les mines ont-ils jamais été punis ?
Tu préfères considérer les qualités du texte, qui en possède beaucoup. Sorj Chalandon prouve ici encore son talent, il démontre qu'il ne laisse rien au hasard, en maître de son récit. Lorsque celui-ci bascule, vers son milieu, pouvant décevoir par son ton, son décor, son propos, à certains restés sous le coup de l'émotion des premières pages, l'écrivain incorpore un coup de théâtre qui relance la passion du lecteur. De ce fait, Le Jour d'avant passionne d'un bout à l'autre, en roman réussi.