L'Oiseau du bon dieu - James McBride

Il y a quelques semaines, tu as parcouru Underground Railroad, roman de Colson Whitehead possédant pour sujet le chemin de fer clandestin, réseau secret d'aide aux esclaves des états sudistes américains à rejoindre ceux du Nord, abolitionnistes. Tu n'avais pas été totalement enthousiasmé par la lecture de ce livre lauréat de prix prestigieux, dont le National Book Award. Par le plus grand hasard (puisque tu sélectionnes les bouquins sans toujours te rappeler ensuite, quand tu les achètes des mois plus tard, pourquoi), tu lis quelques jours après, un autre ouvrage à la thématique semblable. Un texte lui aussi distingué par la National Book Foundation, mais bien supérieur, L'Oiseau du bon dieu de James McBride.

James McBride – auteur d'origine afro-américaine – s'intéresse à un personnage clef de l'Histoire des États-Unis, extrêmement méconnu (en tout cas, tu ne le connaissais pas, et tu paries qu'il en est de même pour bien des Français, étant donné ce que tu penses de la qualité des programmes de l’Éducation Nationale). John Brown se distingua, au milieu du XIXème siècle, pour avoir œuvré de manière particulièrement violente et spectaculaire à la libération des Noirs de l'esclavage. IlIl fut pendu à l'issue de son procès, qui se déroula après sa capture tandis qu'il avait entrepris la prise de contrôle de l'Arsenal de Harpers Ferry, en Virginie. Sa mort représenta un symbole pour la cause abolitionniste et participa au déclenchement de la guerre de Sécession.
L'Oiseau de bon dieu ne possède pas pour personnage principal John Brown, mais Henry Shackleford, qui est sauvé (de force) par ce dernier des griffes de son propriétaire. Le garçon noir, aux traits féminins et à la peau claire, se retrouve obligé de suivre l'abolitionniste et son « armée » de quelques « soldats » (principalement une partie de ses fils) dans leur combat contre les légions esclavagistes de satan. Pour ne rien arranger, John Brown, présenté comme quelqu'un de pas tout à fait sain d'esprit, prend Henry pour une fille et le consacre comme porte-bonheur. Ceci après que celui-ci ait avalé une échalote à laquelle l'homme tenait beaucoup (John Brown, superstitieux, est décrit les poches toujours pleines de talismans d'apparences banales). Son surnom est alors tout trouvé : l'Échalote. Le garçon suivra ainsi le Vieux pendant quatre ans, de 1856 (juste avant qu'il ne commette le massacre de Potawattomie) jusqu'en 1859 (sa capture à Harpers Ferry). Pendant tout ce temps, il va dissimuler sa véritable identité, autant par opportunisme que parce qu'il devient vite difficile d'avouer au Capitaine, pour qui le mensonge constitue évidemment un péché, qu'il l'a trompé depuis leur première rencontre.

Ce narrateur, menteur, baratineur, fainéant (il aimait mieux sa vie d'esclave, moins épuisante que celle consistant à courir les plaines le ventre vide, dans le froid, poursuivi par les milices esclavagistes), particulièrement lâche (il cherche toute occasion de s'enfuir pour échapper aux combats), se souciant comme d'une guigne de stopper l'esclavage, représente un des ressorts comiques d'un roman bourré d'humour. Le quiproquo initial, la présentation du personnage historique sous un tour plus fantasque qu'autre chose, font de L'Oiseau du bon dieu un texte qui, malgré le traitement d'événements tragiques, s'avère extrêmement amusant à lire. Cet humour permet surtout à James McBride de s'attaquer, non pas frontalement, mais par la moquerie, à tous les acteurs de son histoire. Aussi bien les abolitionnistes, représentés principalement par des milices composées en majorité de crapules affreusement bêtes, que les membres de l'armée de John Brown, pas très malins non plus. Le Vieux également : son fanatisme religieux et sa détermination aveugle l'amènent souvent à perdre le sens des réalités.
Les Noirs ne s'avèrent pas en reste. Peu se révèlent prêts à s'engager dans la croisade du Capitaine et la plupart le laisseront tomber aux moments décisifs de son entreprise. Le livre se montre particulièrement critique vis-à-vis des représentants les plus éminents de ces esclaves affranchis. Frederick Douglass (célèbre orateur à Washington) en premier lieu, mais aussi ceux qui signeront la constitution proposée par Brown lors de la convention de Chatham, sans rien réaliser concrètement ensuite. Clairement, James McBride décrit les Noirs comme partagés entre le désir de se libérer et la peur des représailles. Mais aussi, comme l'exposait Colson Whitehead dans Underground Railroad, l'inclinaison des individus asservis à trahir les leurs par servilité envers les maîtres blancs ou par opportunisme. Ce constat t'a également rappelé la description par George S. Schuyler dans Black No More, dont l'action se situe en 1930, bien après l'abolition de l'esclavage, mais pas des inégalités raciales, de l'ambivalence d'une population afro-américaine peu soudée.
Loin de se présenter comme un roman de pur divertissement, bien que la sagacité du récit historique qu'il livre, son rythme effréné, les sourires que nombre de ses scènes nourrissent chez le lecteur, il s'avère passionnant, L'Oiseau du bon dieu apparaît néanmoins comme un texte politique. Comme tu ne connaissais pas l'épisode « johnbrownien » de l'Histoire américaine, tu ne sais pas plus comment les gens l'interprètent aujourd'hui. Toujours est-il que James McBride le décrit d'une manière peu académique – ce qui n'enlève rien à la véracité historique, espères-tu, y compris dans la critique que porte l'auteur – et sans doute polémique. Même avec la distance toute européenne que le lecteur franco-français accueillera ce récit sur la construction de la Nation américaine, il percevra l'audace de James McBride en écrivant ce livre captivant.

L'Oiseau du bon dieu (The Good Lord Bird), James McBride (2013), traduit de l'anglais par François Happe, Gallmeister, Totem, mai 2017, 482 pages, 11,50€

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