Underground Railroad - Colson Whitehead

Underground Railroad a fait beaucoup parler de lui, alors que son auteur, Colson Whitehead, est assez méconnu (bien qu'il s'agisse de son sixième roman, les précédents ayant paru chez Gallimard). Ceci en raison de son obtention du National Book Award, du Prix Pulitzer et du Prix Arthur C. Clarke l'année dernière, suite à sa parution aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Son arrivée en France, pour la rentrée littéraire, constituait donc un événement à ne pas rater, les distinctions énumérées précédemment disposant d'un grand prestige.

Le National Book Award et le Prix Pullitzer sont en effet des références. Tu as lu peu de lauréats du National ne valant pas la peine d'être parcourus, aussi bien De si jolis chevaux de Cormac McCarthy (1992), Bois sauvage de Jesmyn Ward (2011), Dans le silence du vent de Louise Erdrich (2012) ou Fin de mission de Phil Klay (2014). On peut se demander, par contre, comment le Arthur C. Clarke, qui récompense le meilleur roman de science-fiction publié au Royaume-Uni, a pu être remis à un livre qui n'appartient pas au genre SF.

Effectivement, Underground Railroad raconte l'évasion d'une esclave, Cora, de la plantation où elle est née, en Géorgie, à la fin du XIXe siècle. Son projet de fuite prend dès le début un bon départ. Il s'appuie en effet sur l'aide d'un réseau de chemin de fer clandestin, constitué de réelles gares dissimulées et d'un véritable parcours ferroviaire dans des galeries souterraines emprunté par de vraies locomotives, ce qui n'a jamais existé en réalité. Voilà où se trouve l'argumentaire vaguement uchronique qui justifie l'attribution du Prix Arthur C. Clarke. Sauf que cet élément ne représente pas le cœur du roman, mais une facilité, très astucieuse, choisie par l'auteur pour se concentrer sur l'essentiel : ses personnages et leurs sentiments face aux épreuves qu'ils endurent dans leur quotidien d'esclaves et pendant tout le long de leur évasion, à la recherche de la liberté à laquelle devrait avoir droit tout être humain.

De ce point de vue, le livre est réussi : Whitehead dépeint très bien l'horreur de l'esclavagisme, la bassesse de ceux qui le pratiquent et l'ambivalence des noirs eux-mêmes, qui jouent parfois le jeu de leurs maîtres en trahissant leurs semblables. Il le fait sans manichéisme, sans avoir besoin de forcer le trait, sans agiter outrageusement devant les yeux du lecteur la faute de la nation américaine. Il présente simplement, l'histoire honteuse des États-Unis se dévoile d'elle-même.
Cet ouvrage a beaucoup plu et a été récompensé parce qu'il explique au moins en partie la fracture raciale existant aujourd'hui aux USA. Il expose l'idée qu'avaient, et se font sûrement toujours une bonne partie des Américains de l'esprit américain : « Moi je préfère l'esprit américain, celui qui nous a fait venir de l'Ancien Monde pour conquérir, bâtir et civiliser. Et détruire ce qui doit être détruit. Pour élever les races inférieures. Faute de les élever, les subjuguer. Faute de les subjuguer, les exterminer. C'est notre destinée par décret divin : l'impératif américain ».

Malgré ces qualités, le roman possède quelques défauts, principalement au niveau du style, qui s'avère plutôt plat, ou du moins pas particulièrement brillant. Le livre n'est donc pas spécialement bien écrit, ni construit de manière véritablement habile. On s'ennuie presque dans certains passages qui ralentissent le rythme du récit. Tu es sorti de cette lecture satisfait de l'avoir accomplie, car avec Underground Railroad, Colson Whitehead atteint son objectif : tenter d'expliquer la fracture raciale américaine. Mais tu n'as en même temps pas été assez convaincu du talent de l'auteur pour assurer que tu liras d'autres bouquins de ce dernier.

Underground Railroad (The Underground Railroad), Colson Whitehead (2016), traduit de l'anglais par Serge Chauvin, Albin Michel, Terres d'Amérique, août 2017, 418 pages, 22,90€

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