Compléter les blancs - Keiichirô Hirano

De temps en temps, tu tentes des expériences littéraires en achetant des ouvrages que personne n'a lus avant toi. Plus exactement, que ni tes libraires, ni aucun de leurs clients n'ont lus, mais que les premiers ont exposé en table à leur sortie. Compléter les blancs, de Keiichirô Hirano, constitue une de ces lectures qui représentent des prises des risques, puisqu'il y a bien plus de chances de tomber sur un livre mauvais ou moyennement bon que sur une pépite. Or, ta vie sera trop courte pour perdre du temps avec des bouquins moyens, ou pire.

Keiichirô Hirano est un écrivain japonais né en 1975, auteur de plusieurs romans dont quatre ont été traduits en français, en comptant Compléter les blancs. Les éditions Picquier, les spécialistes des lettres asiatiques, avaient fait paraître les trois premiers, mais ce dernier ouvrage a été édité par Actes Sud.
Le quatrième de couverture parle d'un homme qui revient à la vie soudainement, et sans explication, suite à son suicide. Un pitch intéressant, mais ton idée initiale de la nature du récit s'avéra fausse. Il ne s'est pas révélé peuplé de fantômes, comme on en trouve souvent dans la littérature fantastique nippone. On y fait connaissance de Tetsuo Tsuchiya, ressuscité comme d'autres gens au Japon et ailleurs dans le monde. Lui, trois ans après sa mort. L'homme ne se souvient pas des quelques minutes qui ont précédé son décès. Lorsqu'on lui apprend qu'il s'est suicidé, il n'en croit donc pas un mot. En effet, il ne lui semble pas qu'il se trouvait dans une situation, ni un état d'esprit pouvant le pousser à mettre fin à son existence. Par contre, il a un suspect pour le meurtre dont il suppose avoir été victime. Il commence alors des investigations pour confondre la personne qu'il pense responsable de son passage à trépas.
Compléter les blancs apparaît donc, en partie, comme une enquête policière. Mais si cette recherche de la cause du décès de Tetsuo soutient l'intégralité de l'histoire, elle ne représente pas le véritable sujet du roman. Ce dernier constitue bien davantage en un récit de réflexion sur le suicide qu'un polar. Il s'avère, de ce fait, particulièrement intéressant. L'auteur passe en revue l'image des suicidés dans la société nippone (le Japon appartient à la liste des pays aux taux de suicide les plus importants), les réactions face à l'acte de se donner la mort, mais aussi comment les proches des défunts sont considérés. La femme de Tetsuo, Chika, a ainsi « survécu » à un certain mépris, des marques de défiance, de la part des personnes qui l'entouraient.

Malgré ce sujet pesant et loin de faire rire, le livre ne se révèle pas morbide du tout. Il apparaît, au contraire, touchant. Tetsuo, marié et père d'un enfant de 4 ans, bouleverse la petite cellule familiale qui s'était adaptée à sa disparition. Après la résurrection de Tetsuo, tous trois doivent réapprendre à cohabiter, à renouer les liens forts qui les unissaient, en essayant de profiter de cette deuxième chance d'atteindre le bonheur, mieux qu'avant. Keiichirô Hirano réussit parfaitement, avec subtilité, à dépeindre les difficultés, ainsi que les beautés, de l'expérience vécue par cette famille, sans jamais sombrer dans la mièvrerie, mais au contraire avec justesse, dureté (le sujet étant grave) et émotion.

Compléter les blancs (Kûhaku wo mitashinasai), Keiichirô Hirano (2012), traduit du japonais par Corinne Atlan, Actes Sud, mai 2017, 450 pages, 23€

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