Book review - mars et avril 2018

Après un début d'année assez moribond (peu de livres lus et encore moins de bons), les mois de mars et d'avril ont été marqués par la lecture d'une sélection de bouquins moins épais et, ce qui n'est peut-être pas sans rapport, de meilleure qualité, dont Catch 22 de Jospeh Heller, Le Cavalier suédois de Leo Perutz et Splendide-Hôtel de Gilbert Sorrentino.

Mais si ces trois ouvrages ont fait – ou vont faire – l'objet d'articles particuliers, tu ne t'attarderas pas longuement sur d'autres textes moins passionnants, même si l'adjacence de leurs thématiques aurait pu mériter un billet.
Puisque tu parles d'adjacence, un des derniers romans de Christopher Priest représente une parfaite entrée en matière, avec son titre exactement assorti : L'Adjacent. Ce roman se déroule dans l'univers de l'Archipel du Rêve, bien que cela ne paraisse pas évident au début et ne l'est que dans l'ultime partie du récit. Priest propulse ici le lecteur à différentes époques – pendant la Première Guerre Mondiale, puis la Seconde, et enfin dans un futur proche (2050), dans une Angleterre ravagée par le réchauffement climatique et devenue république islamique. Il lui présente des personnages confrontés au phénomène d'adjacence, une apparente désintégration qui s'avérera évidemment une façon de basculer entre les deux mondes qui coexistent parallèlement (le nôtre et celui du rêve). L'Adjacent ne se classe pas parmi les meilleurs bouquins de l'auteur britannique. Il démontre en plus que l'écrivain s'est tourné vers une narration fragmentée, au moins depuis Les Insulaires, qui se rapproche des romans mosaïques de Nina Allan. Toutefois il ne réussit pas à briller comme sa compagne, à rendre à former, avec ces récits qui se succèdent et se superposent, une ensemble fluide, même si on se plaît, voire se passionne, pour ce qu'il y raconte.
Quand tu évoques la passion, tes lecteurs (bigots ?) peuvent penser à une toute autre que celle de la lecture de livres. On peut en effet parler de celle du Christ. Elle est effectivement relatée par David Toscana, entre autres péripéties de la vie de Jésus, dans son dernier ouvrage traduit en français, aux éditions Zulma. Evangelia est un texte satirique qui se base sur une hypothèse blasphématoire : et si Dieu, en envoyant l'ange Gabriel visiter Marie et l'Esprit Sain la féconder, avait oublié de préciser qu'il voulait un fils ? Ainsi naît Emmanuelle, et non Emmanuel. Suivrons ses multiples frères et sœurs, dont Jacob, dit Jésus, que l'Histoire retiendra comme le Messie, alors que tous les miracles racontés dans le Nouveau Testament ont été réalisés par sa sœur aînée. David Toscana signe un roman qui décrit avec humour un ordre céleste loin d'apparaître parfait et vertueux, et des êtres terrestres faisant preuve de beaucoup de bêtises. Malheureusement, son livre s'avère parfois ennuyeux (comme de nombreux passages de la Bible). Evangelia ne se révèle clairement pas comme un des meilleurs bouquins de l'écrivain mexicain. Heureusement, ce dernier a réussi à te faire rire de temps en temps.
José Carlos Somoza t'a également amusé, mais plutôt à ses dépens. Avec son Mystère Croatoan, paru chez Actes Sud, il décrit une catastrophe menaçant la Terre, ou plutôt ses habitants, humains comme animaux. Ceux-ci se mettent en effet soudainement à se comporter de manière insensée et mortelle. Un groupe d'Espagnols va se trouver plongé au cœur de ce bouleversement, réunis par leur connaissance de Carlos Mandel et de ses travaux en éthologie. Ce dernier a présenté une théorie critiquée sur l'entrelacement des comportements des êtres vivants, même d'espèces différentes. Tout l'enjeu du récit s'avère donc la survie de ces quelques hommes et femmes. Pour le lecteur potentiel, l'enjeu est de ne surtout pas ouvrir ce livre. Assez mal écrit, pas crédible (on n'arrive pas à suspendre son incrédulité, car la théorie et les phénomènes exposés ne tiennent pas debout une seule seconde), ce roman se révèle simplement mauvais et, donc, à éviter.
Tu recommandes également à tout lecteur qui ne dispose pas de temps à perdre de ne pas s'attarder sur Zone de Mathias Énard. Tu goûtes peu les livres de cet écrivain français, même si tu avais apprécié Rue des voleurs, moins Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants, qui possédait, à ton avis, certains défauts de l'ouvrage qui t'intéresse ici. Énard n'y raconte pas vraiment une histoire, étale plus qu'autre chose ses recherches documentaires et bien qu'il ne s'avère pas désagréable de lire sa prose, il n'apporte pas grand-chose à celui qui le parcourt. Mais Zone a un très gros problème de vocation stylistique (l'auteur essaie d'écrire un récit composée de chapitres chacun d'une seule phrase) complètement ratée de ce point de vue. Énard n'y arrive simplement pas. Il triche même parfois carrément, le roman se présentant tout compte fait comme une suite de phrases dont les points finaux auraient été retirés ou remplacés par des virgules. Si cette démarche atteint en de rares passages l'objectif souhaité : donner l'impression de se trouver dans la tête du narrateur, dans son courant de pensée, elle s'avère presque tout le temps superfétatoire et peut donc paraître, éventuellement, prétentieuse.
Tony O'Neill, lui, ne se caractérise pas par une quelconque superficialité. Cet ancien toxicomane, qui, depuis qu'il a arrêté de consommer – à outrance – des drogues, écrit, est bien connu des lecteurs de ce blog (s'il y en a). Tu as en effet lu un certain nombre de ces livres publiés par les éditions 13e Note. Notre Dame du vide était le dernier en ta possession, et que tu n'avais pas encore ouvert. Tu te trouvas en présence, cette fois, d'un recueil de textes dans le style qui le caractérise : cru et véridique. Pour toi, lecteur familier de l'histoire de O'Neill, ces nouvelles firent un peu l'effet de redite, te rappelant parfois des passages de ses romans, notamment de Dernière descente à Murder Mile. Cela dit, retrouver cet auteur constitua un plaisir, même si ce qu'il raconte ne possède jamais rien de plaisant, car il s'agit sans nul doute d'un des plus grands écrivains de la toxicomanie.
Olivier Bordaçarre n'a pas une dureté comparable, bien qu'il écrive des récits policiers ou noirs. Il y a toujours de l'humour dans ses histoires, des personnages un peu perchés, un peu décalés, qui les empêchent de sombrer dans des abîmes de douleur et de peine. Les deux textes de Protégeons les hérissons, Protégeons les hérissons et Jeunesse de plomb, ne représentent pas des exceptions. Tous deux inspirés d'un même fait divers (la trajectoire mortelle d'un jeune couple dans l'est parisien), ils s'avèrent efficaces, bien écrits, non empreints de cet humour dont tu parlais précédemment.

L'Adjacent (The Adjacent), Christopher Priest (2013), traduit de l'anglais par Jacques Collin, Gallimard, Folio SF, novembre 2017, 688 pages, 9,40€
 
Evangelia (Evangelia), David Toscana (2016), traduit de l'espagnol par Inés Introcaso, Zulma, janvier 2018, 432 pages, 22,50€
 
Le Mystère Croatoan (Croatoan), José Carlos Somoza (2015), traduit de l'espagnol par Marianne Millon, Actes Sud, janvier 2018, 416 pages, 23€
 
Zone, Mathias Énard (2008), Actes Sud, Babel, août 2010, 529 pages, 10,70€
 
Notre Dame du Vide (Pray to the Void), Tony O'Neill (2008), traduit de l'anglais par Patrice Carrer, 13e Note, mai 2009, 242 pages, épuisé
 
Protégeons les hérissons, Olivier Bordaçarre (2007), Antidata, avril 2014, 56 pages, 6,50€
 

Haut de page