Docteur Rat - William Kotzwinkle

William Kotzwinkle est bien connu des lecteurs de ce blog, puisque tu as déjà parlé ici de L’Ours est un écrivain comme les autres, paru en 2014, chez Cambourakis. Comme Docteur Rat. Cet auteur américain prolifique a signé des livres régulièrement conseillés par tes amis prescripteurs en littérature : Fan Man (Cambourakis, 2008), Fata Morgana, The Midnight Examiner (Rivages, 1988 et 1991)… Écrivain touche-à-tout, il a écrit des œuvres aussi bien autobiographique (Le Nageur dans la mer secrète, Actes Sud, 1999) que satirique ou fantastique (Le Jeu des trente, Rivages 1998).

Docteur Rat, roman de 1976, raconte un soulèvement révolutionnaire mené par les animaux d'expérimentation d’un laboratoire de la Défense aux USA. Le narrateur principal est le dénommé Docteur Rat, un rongeur rendu fou par les expériences qu’on a pratiquées sur lui et qui a développé une sorte de syndrome de Stockholm. Il vénère l'Éminent Professeur et prêche littéralement la soumission aux scientifiques auprès de ses confrères rats. « La mort c'est la liberté ! » répète-t-il à l’envie.
Or, les opérations réalisées sur les animaux du laboratoire se révèlent particulièrement atroces et ces derniers cherchent évidemment à tout prix à y échapper, à fuir le centre de recherches. Or, lorsque débute le roman, un signal d'une origine et d'une nature incertaines est perçu par tous les bestioles de la Terre. Il appelle à un grand rassemblement qui doit permettre, on le comprend petit à petit, à toutes les espèces vivantes de fusionner. Les chiens sont les premiers à répondre. Ils fuient par centaines de leurs foyers pour courir vers des destinations inconnues d'eux-mêmes. Ceux du laboratoire préviennent ainsi leurs compagnons rats, qui finissent par se soulever, à l'immense dépit de Docteur Rat qui va tout tenter pour arrêter cette insurrection et rétablir l’ordre.

Le roman alterne scènes se déroulant dans le labo et passages dévoilant le comportement des animaux en liberté. Les premières sont racontées par Docteur Rat et présentent par le menu les efforts déployés par ce dernier pour que cesse la mutinerie. Les expériences doivent reprendre au plus vite ! Mais il échoue à « raisonner » ses confrères (disons, à leur faire suivre sa raison) et à stopper leur rébellion. Pire, les mutins s'en prennent à lui. Il doit donc fuir et s’échine alors à détruire, par la manière forte, ce mouvement de révolte.
Les autres chapitres racontent la migration des animaux, sauvages ou domestiques suffisamment libres pour échapper aux humains, et qui se rassemblent. Ceci parfois à l'encontre de leurs us, dans une paix totale (les carnivores ne mangent plus les herbivores). Le dénouement de cette migration planétaire, on s’en doute, ne sera pas celui prévu. L’Homme (en temps qu’espèce) devrait lui aussi rejoindre ce grand rassemblement. Toutefois, on sait à quel point il se sent proche de la Nature. Il ne perçoit pas le signal. De plus, sa réaction ne s'avérera pas du tout celle attendue par les naïfs espèces animales...

Le roman se présente comme une œuvre satirique. Il fustige l'expérimentation scientifique sur les animaux, et de manière plus générale, les mauvais traitements infligés à ces derniers par les diverses industries, notamment agro-alimentaires. Dans le laboratoire de l'Éminent Professeur, les scientifiques reproduisent des expériences historiques, sans qu'on comprenne trop pourquoi, sinon pour vérifier encore une fois leurs résultats, ou pour s’amuser. L'absurdité de certains essais, du moins leur but, apparaît clairement.
Par ailleurs, le dénouement du roman rappelle avec justesse à quel point l'être humain s'est détaché de la Nature et est prêt à la détruire pour satisfaire ses intérêts personnels et économiques.
La narration par un rongeur maboul fait de Docteur Rat un roman drôle. Mais il se révèle également dur, sombre, parfois effrayant. 40 ans après son écriture, ce livre passionnant s’avère malheureusement d’une grande actualité, ce qui en dit long sur les travers de notre société.

Docteur Rat (Doctor Rat), William Kotzwinkle (1976), traduit de l'anglais par Michel et Jacqueline Lederer, Cambourakis, Literature, novembre 2015, 282 pages, 21€

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