Ton mois de mai a été peu fourni en lectures. Ce ne serait pas si grave si tu avais lu un chef-d'oeuvre. Or, ce ne fut pas le cas. En raison des critiques dithyrambiques qu'il a reçu à sa sortie, et malgré ta méfiance naturelle pour les ouvrages encensés de toutes parts, tu commenças la lecture de Confiteor, de Jaume Cabre, avec une belle confiance. Toutefois, après quelques centaines de pages parcourues, le verdict tombait : bof. Non pas que ce long roman soit mauvais, ni même ennuyeux, ni même inintéressant. Il est juste très long, sans pour autant raconter une histoire comme tu n'en as jamais lues. Malgré ses qualités indéniables en matière de narration, de construction des personnages, de charge émotive, il s'agit simplement au final, d'une histoire traitant de la Seconde Guerre Mondiale, des Juifs et du vol de leur patrimoine, relevée par la biographie d'un individu aux capacités intellectuelles exceptionnelles. On a vu largement mieux, surtout que tu aurais pu, à la place, lire 6 ou 7 romans de la même qualité (voire meilleurs) dans le même temps.
Heureusement, juin. Pour être sûr de ne pas faire d'erreur, tu es revenu à des valeurs sûres : plus ou moins sexe, drogues et rock n' roll.
Drogue surtout, avec le très réussi, poignant, authentique et incisif Dernière descente à Murder Mile, de Tony O'Neill. Les meilleures histoires sur les addictions sont en général celles qui s'avèrent vraies et racontées par ceux qui les ont vécues. C'est pourquoi les romans de O'Neill sont si bons. Dernière descente à Murder Mile se classe ainsi parmi les meilleurs romans du genre. Un immanquable malheureusement paru chez 13e Note et donc très difficile à acquérir.
Histoires maigres est un recueil de nouvelles d'Agnes Owens, James Kelman et Alasdair Gray, c'est-à-dire des trois auteurs phares de l'École de Glasgow. Il s'agit donc également d'une valeur sûre. Malheureusement, ce livre publié par les éditions du Passage du Nord Ouest est à présent à peu près introuvable. Peut-être certains de tes lecteurs ne connaissent-ils pas l'École de Glasgow. C'est un tort qu'ils devront réparer en découvrant d'une manière ou d'une autre, et sans attendre, les membres de ce groupe d'auteurs écossais qui ont prouvé que cette contrée lointaine et moribonde abrite encore aujourd'hui des artistes talentueux. Tes lecteurs pourront commencer par Lanark, d'Alasdair Gray, chef-d'oeuvre de science-fiction incomparable. En ce qui concerne Histoires maigres, il s'agit d'y trouver des textes divers, qui traitent, surtout ceux de Owens et Kelman, autant du quotidien des Écossais pauvres, que de figures étranges hantant Édimbourg, Glasgow ou d'autres cités de là-bas. Alasdair Gray, lui, s'écarte volontiers de la description de ses compatriotes pour étaler avec talent mais sans toujours produire un enthousiasme démesuré, sa culture littéraire. Chacun à leur manière, les trois auteurs affirment en tout cas l'efficacité de leurs proses, la fertilité de leurs imaginations et la justesse de leurs récits.
Autre auteur à qui tu fais confiance pour ne pas écrire de mauvais livre, le Hongrois László Krasznahorkai a eu tes faveurs en juin. Ceci au travers de son roman Au nord par une montagne, au sud par un lac, à l'ouest par des chemins, à l'est par un cours d'eau, récit à la mode nippone disponible en poche chez Babel. Krasznahorkai, que tu avais découvert grâce à son excellent Guerre & Guerre, étonne encore avec le présent ouvrage, imitation réussie de nombreux textes japonais, tant dans le thème contemplatif et philosophique, que dans le rythme lent et l'ambiance froide et un tout petit peu menaçante de cette beauté dans laquelle se dissimule maladie et mort.
Au final, tu as lu, en ce mois de juin, principalement de vieux trucs. Ta seule lecture se rattachant à une certaine actualité est Comment pensent les forêts, essai ethnologique d'Eduardo Kohn que tu n'as pas totalement compris. Le livre a paru aux excellentes Zones Sensibles, dont le catalogue renferme des textes scientifiques brillants, sur des thématiques présentées le plus souvent de manière vulgarisée, permettant au lecteur lambda d'appréhender assez aisément le propos de fond de l'auteur. Comment pensent les forêts demande un tout autre effort, ou une certaine expérience en ethnologie, une familiarité avec certains concepts, pour être apprécié à sa juste valeur. L'autre explication étant que tu es bête, mais tu as l'audace de penser ne pas l'être trop. Kohn s'adresse visiblement à ses confrères et consœurs, pas à un lecteur néophyte. Cela n'empêche pas sa lecture de s'avérer intéressante pour ce dernier. Il y découvrira un peuple d'Amazonie, les Runa d'Ávila, qui occupent une zone en plein cœur de la forêt, dans une région infestée de jaguars, et qui vivent de ce que leur fournit leur environnement immédiat, même s'ils ne sont pas totalement coupés du monde, leur peuple ayant subi les effets des colonisations de l'Amérique. De l'étude du mode de vie des Runa, Kohn a conçu une nouvelle méthode d'étude ethnologique qui permet/doit permettre de mieux comprendre l'humain, en envisageant une analyse anthropologique « au-delà de l'humain »...