La Course - Nina Allan

Après avoir lu Complications, Stardust et Spin, difficile de ne pas se jeter sur tout nouveau livre de Nina Allan arrivant en France. La Course, son premier « roman » a paru pour la rentrée littéraire, en septembre, aux éditions Tristram. Tu ne pouvais – devais – pas le manquer.

Tu as mis des guillemets au terme roman dans le paragraphe précédemment. En effet, même si l'ouvrage est présenté comme tel, il s'agit plus d'un groupe de 5 textes reliés entre eux de manière étroite et réfléchie pour former un ensemble cohérent, que d'un roman tel qu'on l'entend habituellement. Nina Allan parle elle-même de « roman mosaïque », plutôt que de fix-up.
Au début du livre, le lecteur est projeté dans un avenir relativement proche, après une guerre qui a changé la situation géopolitique mondiale d'une façon assez floue. On n'obtiendra, à ce sujet, que peu de détails. L'Angleterre a semble-t-il pas mal souffert. On y découvre une ville de province, Sapphire, qui survit grâce aux courses de lévriers génétiquement modifiés (rendus plus intelligents et avec lesquels peuvent communiquer des « pisteurs » équipés d'implants) et ses habitants, notamment Jenna, gantière et sœur d'un éleveur de chiens. Voilà pour le premier texte (ou chapitre) dont il n'est pas souhaitable d'en dévoiler plus. Cela s'avérerait également assez difficile, pour des raisons que tu expliqueras ultérieurement.
Le deuxième chapitre renvoie le lecteur dans le présent, pour lui permettre de faire connaissance avec Christy, une jeune femme présentée comme une écrivaine. Pas n'importe laquelle, bien sûr : l'auteure inventeuse de Sapphire et du futur dans lequel la ville et ses habitants se situent. Le livre se compose ainsi de deux récits positionnés dans le futur imaginaire de Jenna et de deux dans celui, « réel » – entre guillemets, explications pourquoi après – de Christy. À ces quatre histoires s'ajoute un cinquième texte qui prolonge l'aventure en décrivant un épisode ultérieur de la vie de Maree, un personnage majeur du monde de Sapphire.
Tu l'as déjà dit, tous les chapitres sont connectés, même s'ils se situent à des époques et dans des univers dissociés. En effet, le lecteur pense d'abord que Christy est simplement l'auteure des récits se déroulant à Sapphire. Elle y met en scène des protagonistes inspirés des gens qu'elle connaît (elle-même, son frère au caractère ambivalent, leur situation d'enfants abandonnés par leur mère, et cætera). Mais au fur et à mesure, Nina Allan distille un élément mystérieux supplémentaire, semant le doute – ou expliquant la vérité – sur l'interaction véritable entre les deux lignes narratives. Plutôt que liés par l'imagination d'une écrivaine, peut-être sont-ils, en réalité, superposés, parallèles. Car Christy perçoit, en de rares occasions, d'une manière impalpable, furtivement, l'existence d'un monde « à côté ».

La Course nous entraîne donc dans une lecture passionnante, qui offre de multiples surprises. Parmi elles, celle d'être balancé entre récits de science-fiction et d'autres moins étranges, mais qui s'avèrent teintés de fantastique, ce qui n'étonnera pas ceux qui connaissent l'Œuvre de Nina Allan, mais réussira toutefois à les fasciner. Il apparaît difficile, comme tu le disais, d'en résumer l'intrigue. Premièrement parce que l'articulation des éléments qui associe les textes pour qu'ils forment une mosaïque se révèle complexe, extrêmement subtile mais réellement présente, construite par une auteure en pleine maîtrise de son histoire. Ensuite de par la profondeur des protagonistes, dont les sentiments, les interactions se montrent d'une crédibilité, d'une authenticité, parfaite. La narration subjective choisie par Nina Allan renforce cet effet. Elle permet de livrer les émotions du narrateur, mais de ne pas tout expliquer. L'écrivaine anglaise confirme par ce biais son talent pour la dissimulation – ou plutôt le dévoilement de ce qui s'avère juste utile – afin d'obtenir la quintessence d'une structure romanesque fragmentaire. Une construction astucieuse qui laisse autant que possible au lecteur la possibilité d'imaginer une suite, une solution au mystère placé là par la romancière. On ressort de la lecture de La Course pas tout à fait sûr d'avoir abouti à une explication parfaite – s'il y en a une – sur ce qui relie les textes entre eux. Voilà ce qui s'avère magnifique avec ce livre, dans lequel tout le génie de Nina Allan se déploie.

La Course (The Race), Nina Allan (2016), traduit le l'anglais par Bernard Sigaud, Tristram, septembre 2017, 428 pages, 23,90€

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