Book review - octobre 2017

Le moi d'octobre s'est avéré une période où tu as renoué avec un rythme de lecture digne de ce nom, en tout cas revenu à un niveau standard. Ceci grâce à quelques courts livres, il faut bien l'avouer. Toutefois, la qualité des ouvrages dévorés en ces premières semaines automnales n'a pas été nécessairement meilleure que dans le reste de l'année. 2017 reste encore une année sans lecture de chef-d'œuvre et un peu décevante.

Tu vas toutefois commencer cette revue par un premier livre qui a tenu ses promesses, son auteur t'ayant, pour ses dernières parutions (Les Nouvelles métropoles du désir, Les Mots sans les choses), laissé quelque peu dubitatif, quand certains de ses textes, plus anciens, s'avéraient excellents (Somaland, Contre télérama, La Crise commence où finit le langage). Il s'agit de La Petite ville d'Éric Chauvier. L'anthropologue bordelais y décrit sa ville natale, Saint-Yrieix la Perche, en Haute-Vienne. À travers son exemple, il décrypte l'évolution des centres urbains de petite taille, soumis aux rigueurs économiques et aux politiques manquant d'ambition ou de sens des réalités, pour les sortir du marasme. Il se penche également avec son humour habituel, sur les relations sociales dans ces bleds où la lutte des classes a été étouffé par le paternalisme économique et d'autres stratégies politiques qui ont, elles, pleinement réussi en leur temps. Tu as lu ce petit livre, paru aux éditions Amsterdam, avec plaisir et en te réjouissant de retrouver le Chauvier drôle, intelligent, érudit et abordable (surtout) que tu aimes.

Connaissant bien tes propres goûts, sélectionnant avec soin tes lectures, il est extrêmement rare qu'elles se révèlent particulièrement mauvaises. Quand cela arrive, d'ailleurs, tu ne les achèves pas et tu t'efforces de les oublier (ainsi, souvent, que leurs auteurs). Le Cinquième principe, roman de Vittorio Catani paru tout récemment aux éditions La Volte, n'était pas dans ton programme de lecture initial. Tu l'as récupéré par hasard et tenté le coup. Mal t'en as pris, puisque tu l'as abandonné sans regret au bout de 80 pages, ce qui correspond à la lecture des quatre premiers chapitres présentant ce qui semble être les quatre personnages principaux du récit. Quatre personnages qui sont des hommes, évoluant dans un futur assez proche (en 2043). Les femmes apparaissent comme des protagonistes secondaires, sont nymphomanes ou prostituées (classe !). L'univers n'a rien de fondamentalement original, et certains éléments paraissent même datés, pour un roman de 2009. L'auteur échoue (dans les 80 premières pages) à évoquer un futur foisonnant, sombre, bref, cyberpunk, comme il semblait le projeter. Catani est un écrivain italien de science-fiction réputé dans son pays, qui a une longue carrière derrière lui (il est né en 1940). Il devrait peut-être prendre sa retraite.

Sans atteindre le même niveau de déplaisance, La Grande Arche est un roman-essai qui va également devoir subir un vent de critiques. Tu connaissais déjà son auteure au travers d'un de ses précédents ouvrages, Au bon roman, texte partant d'une bonne idée à partir de laquelle la romancière avait réussi à écrire une histoire ne tenant pas debout. Constat similaire avec La Grande Arche. Le thème est passionnant : la Grande Arche de La Défense, son architecte danois, Johan Otto von Spreckelsen, et les différentes étapes de la construction de ce monument emblématique de l'ouest parisien. La façon de raconter tout cela par Cossé est, elle, proprement agaçante. La tendance de l'auteure à décrire ce qui l'arrange à certains moments (un Danemark paradisiaque) fait douter de la véracité des informations fournies sur les travers techniques et politiques de l'érection de l'immeuble (tu penses toutefois que globalement, le livre est crédible sur ces points) ; les digressions qui n'ont pas lieu d'être ; la propension de l'amoureuse des lettres à voir de la poésie ou de la beauté dans les paroles ou écrits des acteurs de cette épopée, tout cela a presque failli te faire tomber le livre des mains. Si tu n'étais pas passionné d'architecture, tu n'en aurais pas achevé la lecture. Laurence Cossé : comme Vittorio Catani : plus jamais !

Heureusement, il existe un certain nombre d'auteurs qui ne te déçoivent jamais. Quand tu veux être sûr de ne pas tomber sur un nanar, lire quelque chose qui te plaira forcément, tu te tournes vers un de ces écrivains et tu achètes un de leurs ouvrages. William Kotzwinkle en fait partie. Il reste heureusement quelques livres de ce dernier que tu n'as pas encore lus. Fata Morgana étaient de ceux-là il y a quelques semaines. Cette enquête aux marges du fantastique, met en scène un détective de la police parisienne sous le Second Empire. Paul Picard va se frotter, à ses risques et périls, à Ric Lazare, qu'on dit capable de prédire l'avenir et chouchou du gratin de la capitale française. Le récit, comme toujours avec Kotzwinkle, est parfaitement mené. Ses personnages sont convaincants, notamment le principal, mélancolique à souhait. Le lecteur est rapidement happé par l'histoire et les aventures de Picard. Comme tous les livres du même auteur, c'est à lire. Par contre, il faut éviter de parcourir la quatrième de couverture, bourrée d'approximations et de révélations désastreuses.

Johanna Sinisalo, que tu ne connais pas encore très bien puisque tu n'as lu de cette écrivaine que deux romans, pourrait bien s'avérer rejoindre cette liste d'auteurs qui ne savent pas de décevoir. Car après avoir lu l'an dernier Avec joie et docilité, tu as découvert son tout premier livre,  Jamais avant le coucher du soleil. Elle y met en scène un photographe et infographiste gay recueillant un enfant troll, ce qui ne sera pas sans perturber son quotidien, puisqu'il ne sait rien du mode de vie des trolls et qu'il doit dissimuler l'existence de la créature à ses voisins et ses connaissances. Fatalement (au sens propre et figuré), une catastrophe surviendra. Sinisalo réussit aisément à passionner le lecteur, en décrivant une réalité légèrement décalée, sans presque rien laisser paraître. Ici, elle intercale entre les chapitres des extraits de textes réels ou inventés qui décrivent les trolls comme une espèce animale qui n'a rien d'une figure de contes scandinaves, mais n'est pas sans disposer de capacités uniques, prévisibles pour certaines, inattendues et fort surprenantes pour d'autres...

La Petite ville, Éric Chauvier (2017), Amsterdam, août 2017, 108 pages, 10€
 
Le Cinquième principe (Il Quinto Principio), Vittorio Catani (2009), traduit de l'italien par Jacques Barbéri, La Volte, septembre 2017, 576 pages, 22€
 
La Grande Arche, Laurence Cossé (2016), Gallimard, Folio, août 2017, 400 pages, 7,70€
 
Fata Morgana (Fata Morgana), William Kotzwinkle (1977), traduit de l'anglais par Jean-Paul Gratias, Rivages, Noir, février 1988, 224 pages, 8,15€
 
Jamais avant le coucher du soleil (Ennen päivänlaskua ei voi), Johanna Sinisalo (2000), traduit du finnois par Anne Colin du Terrail, Actes Sud, Babel, avril 2005, 322 pages, 8,5€
 

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