Le Rayon de la Mort - Daniel Clowes

Après Asterios Polyp, tu as continué ta relecture des BD de ta bibliothèque avec Le Rayon de la Mort, de Daniel Clowes. Parue en 2010 en français, aux éditions Cornélius (première parution en 2004 aux États-Unis), cette bande dessinée traite de manière décalée, contraire aux stéréotypes du comics américain, du thème du super-héros.

Daniel Clowes (né en 1961), figure majeure du 9ème Art indépendant outre-atlantique, auteur de récits fantastiques ou de science-fiction, explore le quotidien de ses compatriotes les plus « misanthropes et mélancoliques », habitant dans des banlieues « mortifères »1. Dans Le Rayon de la Mort (The Death-Ray, paru initialement comme le volume 23 de la série Eightball), il met en effet en scène un adolescent de 17 ans, Andy. Celui-ci est confronté à l’exclusion sociale que provoquent son introversion et son manque de confiance en lui. Il vit seul avec son grand-père, malade, depuis le décès de ses parents, tous deux de cancers. Il n’a comme ami que Louie, qui tente lui aussi de s’affirmer. Mais les moyens à leur disposition apparaissent limités : la provocation, verbale ou comportementale, de l’autorité parentale, les tentatives de domination physique des garçons les plus costauds du lycée, et la cigarette.
Louie va encourager Andy à faire de même. Ainsi, il pousse son copain à essayer le tabac. Cela provoque immédiatement des nausées chez Andy. Toutefois, après le malaise, ce dernier sent ses forces décupler. Bien que sidéré, il doit se rendre à l’évidence : la clope le transforme en surhomme, au point d’oser participer à des bagarres, qu’il gagne.
Apprenant qu’il fume, son grand-père lui remet une boîte laissée par son père. L’adolescent découvre alors que son paternel lui a administré une hormone expérimentale, activée par la nicotine, censée lui permettre d’affronter les dangers de l’adolescence. Plus tard, il obtiendra une autre chose ayant appartenu à son père et lui étant destinée : un pistolet capable de vaporiser sa cible, dont seul Andy peut déclencher la commande. Andy devient alors le Rayon de la Mort, justicier qui consacrera son existence « à la protection des faibles, des innocents, des solitaires et des mal-aimés ». Du moins Andy choisit-il cette profession de foi...

L’histoire d’Andy est racontée par le Andy adulte, en 2004. Le personnage mis en scène par Daniel Clowes se présente de lui-même comme solitaire, menant une vie routinière après deux divorces. On sent, dès le début, comme un malaise, qui ne va que s’intensifier avec le récit des événements qui se sont déroulés 26 ans en arrière. Car Andy, malgré toute sa volonté de justice, apparaît comme un super-héros du monde réel, pas celui des univers parallèles de Superman ou Spiderman. Clowes ne nous présente pas un Peter Parker qui endosse le costume du justicier et ses responsabilités, sans presque commettre d’erreur de jugement. Le Rayon de la Mort est l'histoire de l’avènement d’une figure super-héroïque issue d’un gosse de l’Amérique lambda. Malheureusement, la version clowesienne du héros s’avère plus crédible. Quelles probabilités existe-t-il qu’un adolescent qui se voit doté de super-pouvoirs devienne quelqu’un de bien ? Un gamin peut-il juger du Bien et du Mal avec clairvoyance (déjà, un adulte le peut-il) ?
Daniel Clowes nous entraîne, dans Le Rayon de la Mort, sur les pas d’un meurtrier. Il remet entre les mains d’un tueur, de n’importe quel Américain en disposant, les moyens de se faire justice lui-même. Qui d’autre mérite une punition que ceux qui te font souffrir, toi qui a juré d'améliorer le monde qui t'entoure ?

Ta première lecture de cette bande dessinée date de l’époque de sa sortie. Elle ne t’avait pas, à ce moment-là, particulièrement transcendé. Peut-être à cause de son austérité. Avec quelques années de recul, sans doute un peu plus de maturité et de connaissance, aussi, du genre, tu appréhendes dans toute sa complexité le récit proposé par Clowes. Il se structure de façon assez classique. Les planches presque toutes soigneusement découpées en cases carrées déroulent l’histoire d’une manière lente, d’où ne se détachent pas les coups de théâtre. Les couleurs se révèlent assez fades. Les dessins n’ont rien d’extraordinaire. Toutefois, ce formalisme plutôt rébarbatif sert parfaitement l’atmosphère froide, voire glaçante, d’une fable terrible, exceptionnelle dans son développement, mais tristement banale dans ses fondements profonds.

1Tu reprends volontiers les termes de l’encart du Rayon de la Mort, adéquats.

Le Rayon de la Mort (The Death-Ray), Daniel Clowes (2004), Cornélius, Solange, avril 2010, 56 pages, env. 16,50€

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